Tu as été l’adjoint à l’urbanisme sous le mandat de Daniel Delaveau
“oui effectivement de 2008 à 2014.”
C’était une vocation
“Quand il a été élu, Daniel Delaveau a constitué une équipe politique forte autour de lui et l’urbanisme a été une des ses actions majeures, je sais qu’il a un intérêt personnel pour l’architecture et l’action de son mandat a permis de prendre à bras le corps une part importante de la trentaine de ZAC de la ville de Rennes. Petite confidence je m’y étais préparé longtemps avant parce qu’à cette époque on savait qu’on avait de grandes chances de gagner les élections.”
Edmond Hervé n’a pas été un grand bâtisseur à part les Champs Libres, qu’est-ce qu’il reste de ses nombreuses années à la tête de la ville
“Edmond Hervé a peut-être choisi l’humilité concernant l’objet architectural. Mais il a beaucoup bâti même si c’est d’abord l’homme du métro. En matière d’urbanisme, le lien avec les mobilités est fondamental pour une ville à vivre. Il l’a compris. Sans doute que pour lui la fonction d’un édifice était plus importante que l’enveloppe architecturale. A son actif, l’audace politique et architecturale de créer la Résidence Lucien Rose avec tous ses logements sociaux au cœur du Thabor et de tous ces hôtels particuliers bourgeois.”
Sans doute que la ville avait aussi besoin de souffler un peu après Henri Fréville qui n’a pas hésité à raser des quartiers entiers et à vouloir transformer radicalement la ville de Rennes
“Henri Fréville, qui comme tout le monde à cette époque, nous a laissé une organisation urbaine basée sur le “tout bagnole. Ceci-dit je ne juge pas nos prédécesseurs, c’est l’époque qui voulait ça. Henri Fréville c’est aussi la ceinture verte et le choix de porter les quartiers sociaux dans la ville centre. Pas de banlieue à Rennes.”
Quel bâtiment est le plus emblématique de ton mandat
“Le couvent des jacobins c’est vraiment la signature majeure du mandat de Daniel Delaveau. Pour l’anecdote pendant la campagne électorale, nous sommes allés à 3 ou 4 avec Daniel, tel un commando avec casques, lunettes et masques, pour nous protéger de la pollution au plomb, tellement l’armée avait tiré de balles dans le couvent des Jacobins. Après cette visite, on a validé l’idée avant-gardiste de transformer ce lieu en salle des Congrès alors que le lieu initial envisagé était sur Kléber. Le projet sur lequel j’ai vraiment pesé politiquement c’est l’aménagement du Mail. J’ai fait prendre la décision à Daniel de dire qu’il fallait mettre la circulation au sud et le plateau piétonnier au nord avec toutes les terrasses des bars bien exposées au sud. C’était contraire à l’avis des cadres des services techniques de la ville qui étaient plus partis sur un modèle comme le Bd Richard Lenoir à Paris, avec un axe de circulation au milieu. De même j’ai arbitré la création du jardin de la Confluence contre un enrichissement du Mail pour donner une fin à la promenade à partir de la place de Bretagne. Avec mes collègues Bougeard et Berroche, nous avons assumé devant les habitants la suppression de plus de 400 places de parking. Le mail c’est un succès sur plusieurs plans. Premièrement il permet d’élargir le Centre-Ville, le lien avec les quais St Cyr se fait très bien et enfin c’est un succès pour le vivre ensemble, C’est un nouvel espace plébiscité par les habitants où il fait bon vivre et l’ambiance y est très détendue. Et on a finalement réussi à démontrer que l’on pouvait aussi supprimer les voitures ventouses en centre ville au bénéfice des riverains et des piétons. Dans un passé pas si lointain, on y laissait sa voiture quand on partait à Paris la semaine et les loueurs de voitures se trouvaient sur le Mail.”
Quand on est élu, quels sont les rapports avec les professionnels du bâtiment, les architectes, les promoteurs, vous êtes pas trop saoulés par les Bâtiments de France
“Globalement à Rennes tout va bien, c’est la ville idéale pour les promoteurs locaux ! Il y a du boulot jusqu’en 2050. A la différence des plus grandes villes françaises qui sont dominées par des majors du bâtiment, ici à Rennes il y a beaucoup d’entreprises locales. C’était par exemple très facile de travailler avec l’entreprise Legendre pour la réhabilitation de la tour de la Mabilais. Y compris pour les sujets difficiles de réhabilitation de nos quartiers Maurepas sur le Gast , et puis, bien sûr, mon quartier préféré le Blosne, les professionnels – promoteurs, architectes, bureaux d’études, entreprises de BTP – sont très mobilisés. N’oublions pas les compétences de nos services métropolitains qui participent d’une belle chaine de l’aménagement. Quand aux Bâtiments de France, ma plus grande surprise a été de constater que les réponses sur un même sujet peuvent évoluer suivant la sensibilité et la posture de l’ABF. Mais ce sont toujours des interlocuteurs de qualité. Cet écosystème nous permet d’assumer la nécessité d’accueillir tous les types de population et tous les types d’emplois, même si la ville centre n’est quasiment pas industrielle. Bien accueillir, c’est la première fonction d’une ville”
En se baladant au Blosne, on y croise pas beaucoup de résidents du centre-ville et pourtant c’est un très beau quartier qui est resté très arboré même si la petite rivière le Blosne est totalement souterraine
“Les craintes de certains parents du centre-ville concernant les trajets de leurs enfants au Blosne se sont vite dissipés, la mixité sociale doit générer des flux quartiers-centre ville mais aussi centre ville-quartiers. Pour la rivière je pense qu’un jour la ville la découvrira à nouveau. Concernant les flux de population ça s’explique culturellement, et historiquement. Au Moyen-âge la ville était au nord de la Vilaine, et au 19ème siècle on construit la gare au sud et dans la foulée des nouveaux quartiers dans les faubourgs pour y loger les ouvriers et les employés. Après la guerre, Citroën s’implante encore plus au sud et Henri Fréville décide de construire la Zup Sud et dans la foulée la Rocade avec une très bonne idée pour l’époque de créer une ceinture verte”
Pourquoi la Ville ne s’attaque pas au triangle d’or
“Comme évoqué précédemment Edmond Hervé a mené à bien la résidence Lucien Rose. Pour le triangle d’or, je reprend ton expression, le problème c’est le prix du foncier, cela oblige à construire très en hauteur, pas sûr que ça plaise. On tente généralement d’avoir une progressivité. Pas de R+17 à côté d’un pavillon R+1.”
Tu crois que dans le futur on vous jugera aussi sur la verticalité, que d’aucun jugent outrancière
“Certains Rennais sont dans une stratégie de défense, mais le modèle de la maison avec jardin a vécu, il en restera bien sûr mais où on le peut il faut construire en hauteur. Le problème fondamental c’est que la Ville doit tout le temps se réinventer. Je ne te dis pas les difficultés qui arrivent quand le moment du zéro nouvelle artificialisation des terres arrivera, et c’est proche. Fini les lotissements laids autour des centre-bourgs. Le renouvellement de la ville sur elle- même ne sera plus le privilège des grandes villes. Ce sera la règle générale. ”
On jette la verticalité à la vindicte populaire et in fine on rabote quitte à saccager l’esthétisme architectural
Effectivement pour le nouveau siège d’Aiguillon passer de 17 à 12 étages n’enlèvent que quelques minutes quotidiennes de soleil sur toute une journée. Et le projet y perd quantitativement et qualitativement.”
A Rennes il y a quand même une grosse verrue architecturale, c’est le stade Rennais. Le fait qu’il ait été construit en deux phases avec deux architectes différents, c’est un massacre. On va le raser une bonne fois pour toutes
“ Attention sujet sensible d’autant que maintenant je suis adjoint aux sports. Le fait est que ce stade est un vrai stade de foot à l’anglaise. A l’intérieur, il est super agréable, très fonctionnel. On s’est posé la question avec Sébastien Sémeril quand il était adjoint aux sports de l’agrandir à 35000 places pour accueillir le Championnat d’Europe des Nations. L’enveloppe était de 35 millions, l’Etat finançait 5 millions et le Stade 5 millions, le reste à charge aurait été trop important pour la Ville.”
N’empêche qu’il est moche, mais bon ça n’empêche pas d’avoir des très bons résultats
“Oui en théorie il pourrait être plus beau, mais il a été reconstruit en plusieurs phases. C’est une réhabilitation avec poursuite de l’activité. il y a de plus jolis stades, mais quand je vais au stade je ne me dis pas “ah qu’il est moche”, je me dis “ah qu’on est bien ici”
Pour en revenir au Couvent des Jacobins, je me dis qu’il aurait pu être encore plus beau, plus audacieux, j’ai l’impression que vous vous êtes arrêtés en chemin, un adjoint à l’urbanisme a son mot à dire pour le choix de tel ou tel projet
“Bien sûr. En finale il y a avait Tadao Andō et Jean Guervilly, à l’issue du vote égalité entre les deux projets, donc Daniel Delaveau propose au jury de les recevoir. L’équipe de Guervilly a été beaucoup plus rassurante concernant les aspects techniques de construction, si tout s’était effondré quand on l’a posé sur des pilotis , je ne serai pas là à te parler de mon vécu d’adjoint à l’urbanisme. Guervilly est un architecte qui préfère l’osmose avec l’existant à d’autres qui viennent bousculer de manière ostentatoire. Aujourd’hui à l’usage on voit que la fonctionnalité est très réussie, j’ai le sentiment qu’il ne se démodera pas tel qu’il est là, et concernant l’esthétisme architectural je te trouve sévère. Le mariage de l’extension avec la partie patrimoniale est réussi de mon point de vue.”
Y’a d’autres bâtiments moches à Rennes ou qu’ils le sont devenus, le TNB par exemple, il était magnifique dans sa version originale, la rénovation est foirée, c’est de ton fait
“Non relis tes fiches ! En revanche on a eu des discussions sur le Liberté, personnellement, j’étais pour le démolir. D’abord pour des questions de qualité acoustique pour la fonction salle de concert mais j’ai pris conscience que c’est aussi un patrimoine de grande qualité et je me suis rallié au choix d’Edmond Hervé. Et quelques années plus tard, nous avons amené le voisin avec Daniel Delaveau : la cité internationale Paul Ricoeur.”
Pourquoi ne pas faire voter les Rennais
“Moi j’adorerais faire cela, mais les procédures de marchés publiques font que c’est impossible. En revanche, j’aime faire participer les usagers en amont comme sur la rénovation du Blosne, le futur ESC de Maurepas quand j’étais en charge des politiques sociales ou le centre aqualudique de Villejean sur ce mandat où j’ai en charge les sports.”
En fait, t’as pas fait grand-chose pendant ton mandat
“C’est de la provoc j’espère ! Avec Daniel on a énormément traiter de dossiers d’urbanisme, on a bossé sur la 2d ligne de métro et l’intégration des stations dans les quartiers, le couvent des Jacobins , la gare du XXIème siècle et son quartier, la Courrouze, Baud Chardonnet, Maurepas, le Blosne, sur la deuxième tranche de Beauregard, celle qui est plus diversifiée et colorée, sur les prairies St Martin et je ne suis pas exhaustif. En 2014 nous avions 25000 logements en programmation dans la trentaine de ZAC rennaises. L’élargissement du centre-ville, construire pour accueillir, promouvoir les déplacements collectifs, retrouver une relation à notre fleuve. Les objectifs étaient clairs.”
Quand on est élu on doit aussi gérer les Bâtiments de France, c’est un caillou dans la godasse des politiques
“ Pff tu parles d’une question !! Ils ont par nature une approche purement patrimoniale et technique et des fois le mieux est l’ennemi du bien. Il faut en effet trouver des usages d’aujourd’hui pour le patrimoine d’hier. Parfois la réalité économique se heurte aux exigences techniques.”
La salle du Jeu de Paume en est un exemple, c’est toi aussi
“C’est moi qui ai commencé ce dossier et Sébastien qui l’a fini, la Ville était en phase avec l’Etat mais le dossier s’est éternisé, même si au final tout le monde est satisfait. Ce qui est troublant pour un élu local, c’est que la relation change en fonction des ABF. Le meilleur exemple en est le Palais du Commerce à République, j’ai repris le dossier qui était déjà ouvert, je l’ai transmis à Sébastien et aujourd’hui Marc Hervé tente de le faire aboutir. ”
Un autre dossier signé Bourcier
“En toute simplicité Pasteur , j’ai trouvé la solution pour faire déménager l’école dentaire avec le déménagement vers la station ferroviaire de Pontchaillou. Avec la direction du CHU, la Région et la SNCF on a fait faire une étude d’urbanisme par un cabinet Lillois, d’une part on a doublé le linéaire des quais et triplé la fréquentation, et surtout on a dessiné un projet urbain tout autour, avec du potentiel pour le CHU et la construction de logements à Anatole France en particulier et on a intégré le nouveau bâtiment de l’école dentaire dans ce projet global. La tour Normandie à Villejean, avec les équipes d’Archipel très attentives à nos souhaits sur le programme. On choisit ensuite de travailler avec une jeune équipe d’archis – Urbanmakers – qui sont des anciens de chez Jacques Ferrier. Le programme est génial avec une tour, un parking en ouvrage et des maisons sur le parking avec des jardins exposés sud, les étudiants ont une vue panoramique sur Rennes, une salle de quartier, un pôle santé. J’adore le résultat.
L’histoire retiendra probablement que Daniel Delaveau a placé Rennes dans le 21ème siècle. »