Vous êtes l’héritier d’une grande lignée de maçons depuis le 18ème siècle, on peut dire que c’est presque de l’épigénétique

Je n’ai hérité que d’un savoir-faire, mon père a commencé à travailler comme boucher dans l’abattoir qui était situé avant ce bâtiment dans lequel j’ai aujourd’hui mes bureaux à la Mabilais. Pour échapper au STO pendant la guerre il a rejoint le Général De Gaulle à Londres et a fini la guerre comme sergent-chef, il a hésité à partir en Indochine et en fait il s’est installé avec son frère à Amanlis comme apprenti maçon, à cette époque il ne faisait que des petits travaux de maçonnerie. Élève assez moyen ayant même redoublé ma 4ème je l’ai rejoint et j’ai appris mon métier avec lui bien que le directeur du pensionnat voulait que je continue au lycée pensant que j’avais du potentiel, Lol.

Ah donc si vous êtes physiquement si bien conservé c’est parce que vous avez manié la truelle et soulevé des parpaings dans votre jeunesse

Dès mon plus jeune âge je grimpais sur les échafaudages et escaladait les cheminées, en revanche les tonnes de pierres que j’ai soulevées m’ont laissé des séquelles dans les vertèbres, très rapidement mon père m’a confié les clefs de son entreprise et il est devenu mon ouvrier entre guillemets, puis en 1983 il a bénéficié d’une mesure phare de Mitterrand pour prendre une retraite anticipée bien méritée, j’ai pu alors réorienter l’entreprise en construisant des grandes séries de maisons dans des lotissements et le nombre de salariés a suivi cette expansion.

Vous avez eu du bol d’être à la belle époque de la construction à tout va des années 70

On ne choisit pas sa génération ni son milieu comme chantait en quelque sorte Maxime Le Forestier, effectivement cela a été une époque assez faste mais vous savez il ne faut jamais être sûr de soi ni du modèle économique dans lequel on travaille, une de mes qualités c’est que j’ai toujours été attentif aux mutations de la société et dans notre milieu elles sont très rapides et souvent très violentes. D’Amanlis je suis venu m’installer à Vern sur Seiche et rapidement je suis allé chercher des chantiers en dehors du bassin rennais, en premier lieu je suis allé dans le Cotentin près de Flamanville, non pas pour construire la centrale nucléaire mais pour faire des lotissements pour les ouvriers de la centrale, au fur et à mesure j’ai suivi les grands chantiers, je suis allé à Tours puis à Paris.

Mais aujourd’hui des maisons vous n’en faîtes plus si je ne m’abuse

Non bien sûr, il y a longtemps que j’ai arrêté, j’ai anticipé le fait que c’était un marché qui allait devenir très concurrentiel et j’ai orienté l’entreprise vers la construction de collectifs.

Ah bon comme ça, un matin vous vous êtes dit tiens aujourd’hui je fais un immeuble, mais vous aviez les compétences

Presque comme ça oui, les bases sont les mêmes, des bonnes fondations, des bons matériaux, des bons ouvriers. Pour tout vous dire, au début, le dimanche j’allais sur des chantiers pour étudier les techniques de construction, après de fil en aiguille je me suis entouré de personnes qualifiées mais à chaque fois que je  recrutais un ingénieur je vérifiais qu’il était aussi ingénieux.

Mais bon je ne suis pas expert comptable mais développer une entreprise aussi rapidement j’imagine que ça coûte bonbon, vous aviez gagné au loto

Non pas du tout, mes poches étaient loin d’être pleines, même souvent assez vides. Certaines banques nous ont fait rapidement confiance et se sont engagées sur des montants conséquents, malgré tout le tiroir caisse finit toujours par s’enrayer un jour ou l’autre et là j’ai pris une décision radicale et assez téméraire, je me suis porté caution solidaire sur mes biens propres.

Remarquez quand on est à découvert de 5000 euros le banquier se marre, par contre si on a un encours de 5 millions et pas un flêche c’est le banquier qui flippe

C’est un peu ça, parfois ça été très tendu et c’est un peu pour ça que je me suis lancé dans la promotion immobilière.

Ah oui, et vos clients promoteurs rennais ne vous ont pas savonné la planche

Non pas du tout, en fait j’ai commencé par acheter des terrains que personne ne voulait, soit parce qu’ils étaient un peu paumés soit parce qu’ils nécessitaient des aménagements de terrassements. Pour ma première opération j’y suis allé au culot, j’ai construit quelques maisons et plusieurs immeubles et j’ai assuré moi-même la vente.

Vous alliez à la sortie de la messe vendre des lots, Lol

J’ai installé un bungalow sur mon terrain et tout s’est vendu rapidement, pour la deuxième opération j’ai quand même embauché une commerciale.

J’imagine que les années ont passées aussi vite que les immeubles se sont construits et il y a quelques années vous avez refilé le bébé à votre fils

En résumé oui et avec la même sagesse que mon père avait eu avec moi de ne pas me mêler de ses affaires.

Vous êtes quand même président du conseil de surveillance

Mon fils m’épate et l’entreprise a eu la chance qu’il me remplace parce que dans le fond, entre nous, ce n’était pas un cadeau pour lui. D’une entreprise de taille moyenne il en a fait avec ses collaborateurs une des cinq plus grandes entreprises de construction en France qui est capable de gérer des chantiers colossaux comme les infrastructures pour les jeux Olympiques.

Et maintenant vous faîtes quoi, des pâtés de sable avec vos petits-enfants, Mdr

Ils sont grands maintenant et puis j’ai mes affaires à moi aussi.

Ben oui vous avez le château des Pères

Entre autres.

Vous vous êtes bien éclatés à faire votre hôtel, pour un gars qui a passé sa vie à faire des lotissements et des immeubles, vous avez fait fort, j’imagine que bon nombre d’architectes ont avalé leur pastille de travers, vu que souvent ils sont persuadés d’être les seuls à s’y connaître en architecture, je dis ça j’ai rien dit sachant que votre gendre est architecte, Lol

J’ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec mon gendre qui est très compétent et comme moi passionné, c’est vrai qu’un architecte s’est étouffé avec sa pastille au point de lui envoyer une lettre nauséabonde, passons ! 

D’ailleurs si je peux faire un commentaire perso sur votre hôtel, je trouve qu’il ressemble à une sculpture, je suis un peu plus réservé sur la partie basse, je pensais que vous seriez allé à la Roche aux Fées piquer quelques menhirs d’autant que dans le parc du château il y a des iffs dont on fait les cercueils des druides

Je pense que c’est important qu’un édifice ne laisse pas indifférent, il donne matière à penser, d’ailleurs pour le réaliser cela a été un vrai challenge technique et nous avons beaucoup cogité pour satisfaire toutes les normes administratives et malgré tout garder notre idée originale initiale.

Cela a dû vous coûter un bras, j’imagine deux ou trois Bugatti de Benzema et 4 ou 5 montres Richard Mills de Nadal

Je n’ai ni l’un ni l’autre, effectivement c’est un certain budget, mais l’important c’est que l’on a pu le réaliser même si au dernier moment on avait eu un avis négatif de l’Etat au motif que le projet était contraire au PLU

Les subtilités de l’administration française, j’imagine que dans le milieu de la construction vous y êtes habitués

Il faut faire avec, mais il y a toujours du positif et les contraintes amènent aussi des garanties à la fois sur la qualité des constructions et sur la sécurité des ouvriers qui travaillent sur les chantiers, la France est l’un des pays où il y a le moins d’accidents du travail.

Tout à l’heure dans l’entretien vous m’avez parlé plusieurs fois de l’admiration que vous aviez pour Edmond Hervé et Daniel Delaveau, et en même temps des reproches que vous formulez à l’encontre d’Emmanuel Macron, vous ne seriez pas un peu socialo sur les bords

Je n’ai jamais fait de politique même si cela me passionne, en revanche j’ai toujours fait un maximum de social au sein de mon entreprise et j’ai toujours été très proche de mes salariés.

Remarquez Macron a été socialiste à ses heures perdues

On a en ce moment un Président qui n’aime pas l’immobilier car il considère que c’est de l’argent qui ne produit pas, ses choix ont été dramatiques et la crise du logement lui incombe pour beaucoup. Sa décision de supprimer l’ISF est une erreur ainsi que de plafonner les impôts sur les dividendes. Il faut être réaliste le choix premier de tous les ménages surtout des plus modestes est de devenir propriétaire de leur logement et si possible de leur maison, si vous rajoutez à cela la ZAN et toutes les contraintes administratives et financières, il ne faut pas s’étonner d’être aujourd’hui en panne de logements.

Il y a aussi les prix des logements, je me suis toujours demandé si c’est parce que les promoteurs se goinfrent

La rentabilité pour un constructeur se situe après impôts à environ 2% si tout se passe bien.

Vous avez beaucoup bétonné dans votre vie vous n’avez pas de remord, maintenant c’est plus très écolo, le bois va changer le paysage

muuuuuuuum, muuuuuuuuum, muuuuuuuuum

Parlez plus fort j’ai pas compris à moins que vous ne pratiquiez la langue de bois, Mdr

Il faudra m’expliquer comment construire des immeubles de 12 étages en bois avec des murs et des planchers porteurs, comment gérer l’étanchéité. Non soyons sérieux, le béton est un formidable matériau de construction, les technologies évoluent et aujourd’hui on est capables de recycler et de transformer toutes les constructions.