En préambule avant que je ne vous enregistre vous me disiez que la ville c’est compliqué, pourtant si on met les riches avec les riches et les pauvres avec les pauvres c’est beaucoup plus simple 

Heureusement non, la ville c’est un empilement de strates, la plus importante c’est une strate matérielle physique avec tous ses réseaux de surface, aériens et souterrains et faire fonctionner tout ça ensemble 24h/24 avec des variations extrêmement grandes c’est compliqué parce que c’est toujours en perpétuel renouvellement, une autre strate c’est la cité, c’est la couche de la vie sociale, des relations sociales et des conflits, c’est le propre de l’espèce humaine de se différencier par le conflit et en même temps d’établir des contrats. La ville c’est un énorme bateau qui a une inertie colossale, c’est d’ailleurs ce que j’enseignais à mes étudiants à l’école d’archi de prendre en compte qu’il leur faudrait 15 ou 20 ans à rectifier une direction prise au préalable, donc il faut bien y réfléchir avant d’énoncer telle ou telle doctrine. 

Vous êtes de l’époque des années Fréville 

Je suis né en 1941 et suis arrivé étudiant à Rennes en 1958, et déjà se posait la question de la croissance de la ville, par exemple en juillet 1959 on est restés un mois sans eau, donc il a fallu rapidement créer des retenues dans les campagnes pour alimenter la ville en eau potable. En décembre 1958 cela a été une décision de De Gaulle de créer deux zones par priorité à urbaniser, la ZUP au Blosne et à Villejean, ça voulait dire que l’on ne pouvait pratiquement plus rien construire en dehors de ces deux zones. 

Donc vous avez bien connu les deux grands architectes de l’époque, Louis Arretche et Georges Malliols 

Arretche était une figure nationale, d’une famille de résistants pendant l’occupation, il était l’homme de confiance de Fréville, il veillait au développement global de la ville et s’est principalement occupé du secteur universitaire, en plus d’être architecte il était aussi urbaniste. Maillols était un architecte local qui a construit des bâtiments qui sont devenus très emblématiques de Rennes et dont beaucoup sont aujourd’hui classés, mais ils n’ont pas été les seuls, un autre architecte, élève de Louis Arretche, s’est distingué par la qualité de son travail c’est Michel Marty. 

Après avoir été Mao sur les barricades vous êtes devenu enseignant dans la toute nouvelle école d’archi alors que vous ne saviez ni empiler des parpaings ni dessiner un plan 

Les jeunes étudiants en 67 et 68 demandaient des connaissances autres que l’enseignement comme il était prodigué dans les écoles des Beaux-Arts, jusqu’alors seul comptait le dessin et on ne faisait que s’inspirer des enseignements des générations précédentes à tel point que l’on ne parlait jamais de Le Corbusier qui avait formalisé déjà le principe d’une organisation globale d’un espace pour faire du fonctionnel et non pas du beau comme les beaux-arts. C’est Bernard Boclé qui m’a débauché de l’hôpital psy où je travaillais comme psychologue, Bernard Boclé qui avait lui-même dû batailler pendant de nombreuses années contre l’avis de Fréville pour faire accepter sa candidature comme directeur et c’est après la réforme de Malraux que cela a pu se faire. 

Au début j’imagine que vous avez quand même essuyé les plâtres car la psychologie et la sociologie n’étaient pas des sciences nobles dans une école d’archi 

Effectivement il a fallu mettre tout en place, c’était un travail participatif entre professeurs et étudiants, j’étais passionné par la ville, par la cité et j’ai complété mes connaissances par un doctorat de sociologie et la création du laboratoire de sociologie urbaine au Laboratoire de recherches économiques et sociales de l’université de Rennes 2. Au début de mon enseignement je faisais parfois venir Georges Graff à l’école qui était le premier adjoint d’Henri Fréville en charge de l’urbanisme, il était très intéressant. 

On oublie aussi que Fréville a fait raser bon nombre de bâtiments historiques dont le fameux château de Bréquigny, c’est dommage qu’Edmond Hervé n’ait pas corrigé le tir pour sauver le bas de la rue de Dinan 

La partie vers la rue de la Quintaine avait été déjà décidée sous Fréville, Edmond Hervé a stoppé la démolition d’une partie de la rue de St-Malo. C’est vrai que Fréville qui était pourtant un brillant historien a fait détruire beaucoup d’éléments de patrimoine et heureusement dès le début des années 80 dans l’aménagement de la ville l’accent a été porté sur la préservation du patrimoine historique. 

Vous êtes un peu un des derniers Mohicans à toujours vivre au Blosne, avec votre niveau social vous auriez pu allez vivre dans des quartiers gentrifiés, vous avez le Blosne chevillé au corps 

Moi je suis parti de rien et je me sens redevable envers la société, j’ai une dette et je me dois de donner aux autres en aidant à créer du lien. Le Blosne c’est un formidable laboratoire urbain et heureusement, tel un chantier qui n’a jamais été fini, Daniel Delaveau et Frédéric Bourcier ont bien compris qu’il fallait y faire construire des équipements culturels modernes pour que les habitants puissent tisser des relations. Bien sûr nous devons toujours être vigilants face au communautarisme, ne l’oublions pas le Blosne qui initialement était une cité d’urgence a absorbé bon nombre de vagues successives de populations différentes, cela a commencé par des populations paysannes qui avaient besoin de s’identifier à des structures urbaines qui leur rappelaient leur village, c’est pour cela que Michel Marty avait planifié des îlots de voisinage comme le Landrel, Torigné, Sainte Elizabeth. 

La relativité du temps étant ce qu’elle est vous êtes confiant pour l’avenir, vous croyez que la ville archipel va nous sauver ou ce n’est qu’un pur fantasme électoral 

Mdr…..C’est quand même intéressant parce que ça pose la question de la place de l’agriculture dans la ville, des équilibres écologiques à trouver. Cela ne peut marcher que si on arrête de faire rentrer les voitures dans la ville même dans des parkings relais qui occasionnent énormément de nuisances sonores et écologiques dans leur environnement proche et qui sont très préjudiciables à la qualité de vie des habitants mitoyens. La pression urbaine et le rejet de la verticalité va faire que les villes proches de Rennes vont être rapidement intégrées et dans le futur on parlera sans doute, comme pour Chantepie aggloméré non pas de quartier, terme trop subordinateur, mais d’arrondissements avec une administration et des élections de responsables politiques.