Avec Xavier Crépin et Pablo Diaz vous avez participé au lancement du master ISUR, Ingénierie des Services Urbain en réseaux, à Science Po Rennes en 2002
Ma contribution pédagogique n’est pas didactique mais anecdotique dans le bon sens du terme, c’est-à-dire que je partage avec les étudiants nombre d’épisodes de ma vie professionnelle riche et variée à travers presque tous les continents de la planète pendant près de trente ans, principalement l’Afrique, l’Asie, le moyen orient, l’Amérique et l’Europe.
Vous êtes une des rares personnes de votre génération qui a acquis des compétences multiples sur les réseaux bien avant Facebook et Tik-Tok, Mdr
Lol, en l’occurrence les réseaux qui nous intéressent sont ceux qui sont nécessaires à la vie, ceux de l’eau, de l’assainissement, des déchets et les transports. On a tendance à croire que l’écologie ce sont les petites fleurs et les gazouillis des oiseaux, mais plus prosaïquement c’est surtout la gestion des eaux usées, des ordures ménagères et des transports d’approvisionnements des marchandises. Mais oui mon caractère affable m’a aussi permis de développer des réseaux humains dont j’essaye de faire profiter les étudiants en leur donnant des contacts professionnels un peu partout sur la planète.
Vous même vous n’êtes pas un ancien étudiant de Sciences Po
J’ai une formation plus technique d’ingénieur des travaux publics et j’ai commencé par étudier les ports qui sont un peu le résumé de l’économie d’un pays, en plus un port c’est une très grande entreprise avec des grosses infrastructures très techniques et c’est aussi un concentré de gestion de ressources humaines qui selon les pays peuvent être aussi très syndiquées.
Vous avez travaillé sur des ports un peu partout, mais en France en particulier votre expérience a dû vous apprendre à savoir marcher sur des oeufs
Effectivement les ports français ont longtemps été sous la coupe de deux entités très puissantes, les dockers pour la CGT et les ingénieurs des Ponts et Chaussées pour la gestion, c’est aussi cela qui a permis le développement des ports d’Anvers et de Rotterdam qui sont des ports municipaux. En France on a beaucoup de ports mais très peu sont réellement opérationnels, comme Antifer, Fos-sur-mer, le Verdon et même la Rochelle qui avait beaucoup de potentiel, ceci-dit la France est une très grande puissance maritime sans compter l’impact des outre-mers.
L’explosion et les mutations du transport maritime ont eu beaucoup d’impact sur le fonctionnement des ports
On n’a plus besoin comme avant de très grands entrepôts pour stocker les marchandises à quai, aujourd’hui il y a beaucoup de rouliers, de ro-ro et de porte-conteneurs. Il a fallu reconvertir nombre de friches portuaires comme à Londres où on a construit un nouvel aéroport, à Sydney des hôtels, à Bombay on a créé un nouveau port, leurs infrastructures ne sont plus les mêmes, avec les nouvelles routes de la soie la Chine a eu une grande expérience de la création de ports comme à Tanger au Maroc.
Et un jour vous avez quitté l’eau salée pour l’eau douce et vous êtes plus particulièrement intéressé à l’aménagement du territoire
Oui j’ai rejoint le groupe BRL, anciennement Compagnie Nationale de la région du Bas-Rhône et du Languedoc. A la suite des événements de la guerre d’Algérie il a fallu gérer l’afflux rapide d’un million de pieds noirs et un grand commis de l’état, Philippe Lamour, a été l’artisan de cet élan fédérateur avec la création d’un canal d’irrigation du Languedoc puisant ses eaux dans le Rhône, l’eau étant acheminée vers le sud du Gard et l’est de l’Hérault alimentant près de 100000 hectares d’irrigation. C’est à cette époque qu’ont aussi été créées des sociétés d’aménagement du territoire comme la SOMIVAC en Corse, la CNR Compagnie Nationale du Rhône, la société du Canal de Provence, du Canal du Midi, la CACG société d’aménagement des coteaux de Gascogne, au sein de la BRL j’ai pu divulguer notre expertise sur l’irrigation, l’hydraulique et l’hydraulique urbaine, j’ai rejoint ensuite la Lyonnaise des Eaux qui avait créée une filiale, LYSA Lyonnaise des Eaux Services Associés en tant que directeur général, au cours de ma carrière j’ai énormément voyagé et travaillé auprès de gens de cultures très variées.
Vous êtes même allé en Palestine distribuer non pas la bonne parole mais l’eau
A Gaza on intervenait pour faire en sorte que l’on puisse distribuer de l’eau de qualité alors que les ressources naturelles sont très dégradées, de la même manière on est intervenu au Maroc, au Brésil, au Cambodge. A chaque fois c’était ponctuellement résoudre des problèmes d’appui à la gestion de l’eau, il n’y a pas besoin que de techniciens ou de gestionnaires, il faut aussi former les cadres en amont et ça c’était notre boulot.
Vous étiez à Gaza en même temps que Yitzhak Rabin et Yasser Arafat, vous vous êtes fait de sacrés copains
A cette époque tout le monde y croyait, on était tout feu tout flamme, hélas aujourd’hui tout est à reconstruire.
Une question d’un néophyte, pourquoi en France on n’est toujours pas capable de gérer l’eau de pluie
La France a un rôle important en fonction des bassins versants, à chaque fois qu’il y a un fleuve l’eau se gère par usage, l’eau potable, l’irrigation, la navigation, la pêche, etc.., certes on peut la stocker mais toujours localement, le plus compliqué c’est l’assainissement parce que l’urbanisation est aussi de plus en plus décriée pour son imperméabilisation des sols alors qu’il faut faire en sorte qu’un maximum d’eau de pluie retourne dans la terre. On n’a pas arrêté de domestiquer l’eau et ceci dans tous les pays et à toutes les époques, si on a réussi à canaliser la Seine pour favoriser le transport fluvial en revanche on n’a pas pu le faire pour la Loire qui reste aujourd’hui le seul fleuve d’Europe à l’état sauvage dans sa plus grande partie, bien que l’on essayé de réaliser 7 barrages avec la création de l’EPALA l’établissement public pour l’aménagement de la Loire et de ses affluents. A juste titre les écolos sont montés au créneau et on a réussi à concilier la sécurisation du fleuve, l’approvisionnement en eau et l’écologie.
Vos 3 enfants sont nés un peu partout, à Madagascar, à Manille et Abidjan, une fois en retraite vous tapez dans le dur en devenant Maire de votre commune à Bailly, ce n’est pas le triangle des Bermudes mais le triangle de Rocquencourt, décidément les réseaux vous poursuivent
J’ai essayé de partager mon expérience à la commune toujours avec les même bases du bon sens, quand vous faîtes une boulangerie dans un petit bled de 4000 habitants ce n’est pas évident parce que rien ne favorise, à chaque fois la première réponse est la même “ouh là là” que ce soit la Chambre de Commerce ou la Chambre des Métiers. Le métier d’élu pour moi se résume à deux choses, avoir prise sur son environnement de façon concrète et défendre l’intérêt général. Mes 12 ans en tant que Maire sont aussi au programme de mon implication au sein du Master Isur, sachant que passé 75 ans en France vous ne pouvez être que bénévole ce qui est très intéressant pour le directeur de Sciences Po, ça me plait toujours de rencontrer des jeunes.
Un jour il faudra vous ranger des voitures, même si vous êtes bénévole passionné
Comme tout un chacun, heureusement que j’ai encore la fondation Lyautey dont je suis l’arrière petit neveu du côté de ma maman !
Bel aperçu d’une vie professionnelle et bénévole bien remplie !
Juste une remarque sur la tendance à croire que l’écologie s’occuperait de « petites fleurs et gazouillis d’oiseaux », depuis non seulement René Dumont, mais les divers et nombreux mouvements d’agriculteurs, d’architectes, de physiciens et naturalistes universitaires et de terrains ainsi que le développement d’un tissu associatif dense, les citoyens peuvent se faire sur l’écologie une autre idée et exprimer les nécessités de réfléchir (jamais assez dans notre monde complexe) et d’agir (malgré de puissants lobbys).
Dont acte ma chère sœur, mais on oublie souvent que les usines d’assainissement sont des équipements d’écologie et des maillons essentiels dans l’économie circulaire .
Il y a hélas de plus en plus de déchets: les transformer au maximum en ressources n’est pas un bel objectif non ?
Tout à fait…