Désolé avant de vous voir à la télé (Lol) je ne savais pas que vous faisiez les photos des Miss France et de bon nombre de célébrités sans compter tous les shootings de mode pour de grandes marques et pourtant ce qui m’a interpellé sur votre site ce sont vos photos perso et j’ai l’impression que votre boulot c’est un prétexte pour votre travail personnel
C’est un peu ça et parfois on me reproche de publier notamment sur Instagram plus de photos personnelles que professionnelles. Mon boulot de commandes me permet de vivre de la photo et de rencontrer ou d’être dans des situations assez exceptionnelles comme il y a peu en passant un après-midi dans une voiture à discuter avec une grande Duchesse, ceci-dit ce type de fonctionnement était plus commun avant, quand les photographes n’étaient pas cloisonnés dans des genres et alternaient des reportages de guerre et des photos de mode ou des shootings de célébrités et en même temps des photos perso.

Quand on regarde votre site dans sa totalité on perçoit des liens entre vos univers, j’ai le sentiment que vos photos perso sont comme des gammes et qu’elles inspirent vos photos de mode

Ce n’est pas dichotomique mais souvent dans les photos de commandes on me dit ne fais pas trop flou, fais pas trop bleu, quand on répond à une commande on répond à un cahier des charges précis, moi j’aime bien dans la photo faire plein de choses différentes.

J’imagine que vous avez une bonne tête parce que les gens célèbres ou anonymes viennent vers vous et souvent par la droite de l’image

Très rapidement dans ma carrière j’ai senti que l’humain apporte des situations qui ne se reproduisent pas, c’est sans doute pour cela que je me suis un peu spécialisé dans le portrait, très récemment j’ai été en résidence à Deauville dans l’idée de faire des portraits de mer et malgré tout cela m’a perturbé parce qu’il me manquait l’humain dedans. Pour ce qui est des cadrages c’est un peu une déformation professionnelle parce que je me sens photoreporter et j’anticipe toujours les besoins des graphistes et les contraintes techniques pour la mise en page avec la coupe, l’emplacement du titre ou du texte, c’est aussi pour cela qu’elles sont souvent en format paysage pour des doubles-pages.

Dans vos photos perso vous composez souvent avec des tonalités bleues ou des zones floues

J’essaye de m’échapper de la brutalité de l’appareil photo, j’envie les peintres qui décident eux-mêmes de leur réalité du monde.

Ce qui m’a donné envie de vous contacter ce sont vos photos où manifestement vous vous échappez des commandes ou des reportages institutionnels et vous shootez comme un photographe d’architecture soit des immeubles, soit des chantiers ou des vues panoramiques de villes

Oui je suis assez sensible à l’architecture et particulièrement à la façon dont l’homme façonne le paysage pour y vivre.

Pour faire cet entretien je me suis fait violence pour trouver une petite dizaine de photos sans personnes ou presque comme la photo que j’ai mise en introduction et que n’aurait pas reniée André Kertész

Un quartier d’Haïti, ce qu’il faut savoir c’est qu’il est très difficile et même dangereux de faire des photos dans la rue à Haïti, lors de ce séjour j’étais accompagné d’un acteur de cinéma haïtien que j’avais photographié à Paris et qui est très aimé dans son pays, Jimmy Jean-Louis. Il a été un peu mon sauf conduit et j’ai pu travailler assez librement tout en étant réservé et peu intrusif dans la vie des gens. Que vous évoquiez Kertész me flatte parce que c’est vrai je suis assez classique dans mes compositions et je me réfère souvent aux photographes des années 70-80.

Un autre grand photographe dont je retrouve ici la patte dans ces deux photos celle de Salgado

C’est un bidonville qui s’appelle Jalousie sur les hauteurs de Port-au-Prince. Les façades ont été repeintes il y a une dizaine d’années à la demande du président d’alors, pour agrémenter la vue, car ce bidonville fait face à Pietonville, le quartier huppé de Port-au-Prince.
On a souvent reproché à James Natchway de photographier la misère mais c’est vrai qu’elle a souvent une dimension esthétique, c’est tout le paradoxe de nos sociétés occidentales qui se révèle avec juste un pot de peinture.

C’est à Antanarivo à Madagascar, j’ai fait cette photo depuis le balcon d’une chambre d’hôtel qui est réservé aux expatriés, ici aussi il y a ce contraste entre le luxe et la misère, quand il n’y a pas d’humains et que c’est juste joli j’ai un peu de mal à assumer.

Cette photo d’un chantier est assez énigmatique, visiblement on est pas en Europe on voit pas de bulldozer juste deux ouvriers au premier plan et un passant à l’arrière plan avec une ombrelle

C’est le Cox’s Bazar un camp de réfugiés pour les Rohingyas au Bandgladesh, ils sont plusieurs centaines de milliers à y vivre de manière très précaire parce que le Bandgladesh ne veut pas qu’ils s’y installent de manière pérenne, malgré tout quelques uns essayent de construire des bâtiments en dur avec extrêmement peu de moyens, c’est une photo que j’ai faîte dans le cadre de ma collaboration avec l’UNICEF et par ce biais j’ai voulu témoigner de cette réalité très poignante.

Là on change carrément de lieu pour arriver à Tchernobyl en Ukraine avec cette photo à la fois très réaliste des réacteurs nucléaires et en même temps composée comme un tableau, d’ailleurs elle est difficile à lire de prime abord

J’ai fait cette photo à l’intérieur du bâtiment du cinquième réacteur qui était en construction au moment de l’explosion et ce qu’on voit au loin c’est le sarcophage du réacteur n°4. Au bout de quelques années ils se sont aperçus que les réacteurs 5 et 6 étaient trop contaminés et ils ont arrêté leur construction, bien sûr c’est totalement interdit de se rendre à cet endroit car les bâtiments sont très contaminés, notamment toutes les parties métalliques. Ce qui est terrible c’est de voir les piliers de ces bâtiments totalement tordus, à l’époque, pour respecter les délais imposés, ils avaient coulé du béton sans assez de fer. S’ils avaient fini les réacteurs ils se seraient sans doute effondrés sous leur propre poids.

En France quand on parle de déconstruction on n’imagine pas qu’en Ukraine ça se faisait tout seul

Ici on est à Prypiat une ville très proche de Tchernobyl qui était très moderne pour l’époque avec ses écoles, ses supermarchés, ses cinémas, sa salle de concert et sa piscine olympique. On voit sur la première photo qui était une école les vieux posters qui ornaient les murs et qui nous rendent comptent d’une autre réalité que celle qu’on résume parfois un peu trop facilement dans les livres d’histoire.

Toujours à Tchernobyl vous rencontrez des personnes âgées qui n’ont plus d’âge et qui malgré tout continuent de vivre comme si rien ne s’était passé, d’ailleurs vous faîtes cette photo d’intérieur comme si c’était un reportage pour AD magazine

Avant le Covid et surtout avant la guerre en Ukraine j’allais très régulièrement à Tchernobyl parce que c’est une sorte de capsule temporelle, au fil du temps j’avais tissé des liens avec des babouchkas, je les ai beaucoup photographiées, ce n’est pas qu’elles vivaient dans une sorte de nostalgie mais leur univers avait très peu changé par rapport à ce qu’il était dans les années 80 comme si le temps s’était arrêté.

Vous êtes aussi beaucoup allé en Asie, en Corée du Nord où à ce qu’il paraît vous êtes persona non grata parce que vous avait fait des photos non autorisées et qu’en plus vous les avez publiées et en Chine aussi comme sur ces photos somme toute assez anodines

J’étais dans un train au départ de Pékin et par la fenêtre défilaient des centaines d’immeubles inoccupés qui préfiguraient déjà la faillite immobilière qui secoue le pays, j’ai fait cette photo rapidement avec mon Iphone.

En Corée du Nord la prise de photo est très règlementée, dès qu’on arrive on est briefé sur ce que l’on a droit de photographier ou pas, par exemple on n’a pas le droit de recadrer les statues en ne photographiant pas tout le corps des Kim, on n’a pas le droit de faire des photos des militaires dans la rue alors qu’il y en a partout ni de photographier une statue d’un des leader si elle est en cire et non en pierre et ainsi de suite, bien sûr j’ai pris quelques photos entre guillemets interdites, pour essayer de raconter la réalité du pays, et non seulement ce que l’on nous donne à voir. Au moins cet arbre perdu remplissait tous les critères autorisés et en plus j’ai trouvé que c’était une belle photo.

Pour finir l’entretien une photo de jeunesse à New York et on dirait avec une pelloche, ceci-dît en la voyant j’ai ragé parce que j’ai passé 3 semaines à Manhattan en 2010 et je ne l’avais pas vu 

C’est une photo qui date de 2003, c’est déjà du numérique, les premiers reflex Canon apportaient une qualité comparable au film. Ce qui est étonnant c’est qu’à l’époque les capteurs étaient beaucoup plus typés qu’aujourd’hui où ils sont très performants mais souvent un peu lisses. Je suis souvent retourné à New York et c’est une ville qui ne change pas et qui en même temps se renouvelle en permanence et où la lumière est très particulière. Si ça peut vous rassurer j’ai fait cette photo au téléobjectif depuis l’Eastriver, quand j’étais jeune je partais avec un gros sac à dos rempli d’objectifs et maintenant je voyage léger avec mon Iphone et mon vieux Leica Q1.