Êtes-vous ce que l’on appelle communément un urbaniste
De formation je suis ingénieur de travaux publics et architecte mais oui aujourd’hui mon métier est urbaniste, notre agence, Villes Vivantes, met des compétences multiples d’ingénierie, d’architecture et d’urbanisme à la disposition des maîtres d’ouvrage, des collectivités et des habitants.
Vous n’êtes pas un aménageur urbain mais plutôt un réaménageur
Si une commune a besoin de nouveaux logements, nous n’allons pas urbaniser un nouveau terrain d’origine agricole mais plutôt chercher à optimiser la gestion des parcelles existantes au sein des lotissements en concertation avec les habitants dont les besoins et les attentes évoluent au fil des ans, certains d’entre eux peuvent être vendeurs d’une partie de leur parcelle ou alors désirent un logement plus petit qu’ils construiront dans leur jardin et libérer ainsi leur habitation principale qui pourra accueillir une nouvelle famille. Notre métier est nouveau, est-ce que c’est le métier d’aménageur ou d’architecte, parce que l’on dessine beaucoup, ou est-ce un métier d’urbaniste, je ne serai pas trop vous dire.
En fait quand vous vous engagez avec une municipalité vous naviguez un peu au radar parce que ça doit être difficile de sonder les désidératas de chaque foyer en amont de l’opération
Dans un aménagement classique, en fonction d’une surface donnée, on connaît à l’avance le nombre exact de nouveaux logements qui seront construits. Notre agence est construite sur un modèle différent, adapté à notre intervention diffuse sur un territoire : nous sommes rétribués en aval, au résultat, pour chaque nouveau logement créé. Ceci-dit au fil du temps et de l’expérience acquise auprès de 10 000 personnes un peu partout en France, nous évaluons mieux les possibilités de densification douce sur les parcelles, aujourd’hui sur 100 maisons on aura de 30 à 40 personnes intéressées à réfléchir sur un nouvel usage et au final réussir à en transformer une sur cent par an.
Ah c’est tout
En France vous avez 20 millions de maisons déjà construites donc 1% c’est 200 000 sachant que dans les plus grandes années de constructions de maisons individuelles on tournait plutôt à 180 000, donc je dirais plutôt que c’est un potentiel considérable.
C’est un peu scabreux votre métier parce que vu tous les problèmes de vivre ensemble que l’on voit dans les émissions de télé réalité, est-ce que vous n’en remettez pas une couche
La concertation n’est pas seulement au sein des ménages, bien souvent elle implique toute la famille et parfois effectivement le voisinage direct, les projets parcelle par parcelle engagent des problèmes architecturaux, juridiques, immobiliers et sociaux, se posent aussi des questions d’héritage, nos compétences incluent également la médiation et l’accompagnement social. Par exemple sur Périgueux, en 5 ans, on a produit 250 nouvelles unités d’habitation et pour cela on a travaillé avec 800 personnes. Les possibilités de réaménagement sont nombreuses et complexes, et sur chaque cas de nouvelles questions et décisions apparaissent et impliquent des orientations politiques et sociales.
Depuis Bordeaux vous êtes un peu partout en France, même en Bretagne
La Bretagne va devenir une des régions stratégiques concernant l’immobilier. Nous travaillons déjà avec Morlaix Communauté, Lorient Agglomération, Vitré Communauté et Châteaugiron Communauté.
Parfois la reconstruction de la ville sur elle même est freinée par des détails insoupçonnés, à Rennes Métropole par exemple le logiciel de déclaration de travaux plante régulièrement et les délais des dossiers se trouvent considérablement rallongés sans compter qu’il faut avoir fait l’ENA pour remplir correctement un dossier d’instructions de travaux, la charge administrative n’est-elle pas un tue l’amour
Aujourd’hui le BTP et l’immobilier c’est un peu la jungle sans compter qu’au final on peut être confrontés à des malfaçons, la fabrique de l’immobilier est compliquée et surtout dans des territoires très tendus comme à Rennes par exemple. L’inflation réglementaire, normative et législative est réelle et la simplification est très difficile à mettre en place et donc une partie de notre activité consiste aussi à faire du lobbying, et particulièrement sur Bordeaux où est notre siège social, pour simplifier les règles, leur interprétation et leur application.
Vous personnellement vous avez de bonnes connaissances sur l’histoire des villes, l’urbanisme moderne est-il éloigné des modes d’édification des villes anciennes
Le mot d’urbanisme est récent, il a été défini la première fois par le catalan Alphonse Cerda à Barcelone en 1859. J’aime beaucoup les villes anciennes parce qu’elles sont encore vivantes aujourd’hui. Avant c’était beaucoup moins administratif mais pas forcément non plus que du bon sens aléatoire. Les réflexions étaient sérieuses et intelligentes parce que le patrimoine qui se transmettait de génération en génération avait beaucoup de valeur, souvent ce qui guidait l’implantation était lié aux conditions climatiques, aujourd’hui on essaye de résoudre les problèmes de conception par des couches de normes, mais à la décharge des différents services administratifs on paye aujourd’hui le prix du laxisme général en pratique au 20ème siècle. Les villes ont aussi dû faire face à l’intégration de progrès technologiques et particulièrement à l’arrivée de la voiture.
Le laxisme court toujours de nos jours et notamment chez les politiques, ici à Rennes les deux derniers adjoints à l’urbanisme ont signé des permis de construire d’immeubles dans des zones inondables connues de tous et le résultat on l’a vu avec les dernières inondations dramatiques
Il y aussi le confort thermique pendant les périodes estivales et on s’aperçoit aujourd’hui que tous les bâtiments construits avec les normes RT 2012 n’ont pas de bon confort thermique alors que c’était une directive obligatoire, la norme 2020 a essayé de corriger ça mais ce n’est pas encore parfait. Malgré tous les moyens technologiques modernes de modélisation des flux de chaleur on a encore du mal à reproduire les dispositifs ancestraux de maintien
d’air frais dans les patios et les cours intérieures des bâtiments comme dans les villes d’Andalousie, il est important que l’urbanisme revienne à ces fondamentaux ancestraux, c’est le chemin que l’on essaye d’ouvrir dans nos agences.
En fait c’est grâce à des intellos comme vous que l’on va réussir à s’en sortir par le haut
Par les deux côtés, nous on a une petite partie d’intellos, comme vous dîtes, où on essaye de reconstruire des contenus et des contributions scientifiques et techniques et en parallèle on expérimente sur le terrain des opérations et des services qui essayent de régler des problèmes pratiques d’aujourd’hui à cheval sur le présent et le passé.
C’est marrant vos intitulés d’opérations, on se croirait presque dans l’univers de la mode, Bimby, Bamba, Bunti et Bramble
Le Bimby c’est la deuxième maison dans le jardin, Bamba ce sont des petites maisons sur mesure en opération d’aménagement, on en a une première à Clermont Ferrand en ce moment, le Bunti c’est la reconfiguration d’un bâtiment existant.
Cela doit les faire marrer les élus quand vous leur annoncez vos programmes
L’univers de l’urbanisme est sérieux et complexe et ces appellations forcent à sourire et cela permet de dédramatiser les questions d’argent et de valeur foncière parce qu’au coeur des mutations il y a souvent des situations familiales complexes comme des divorces et des héritages, Bimbi et Bunti évoquent des notions de plaisir parce qu’au final changer ou modifier son habitât provoque bien souvent du plaisir.
Vous intervenez également sur les techniques de construction
Il faut une diversité d’options et ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier, chaque option n’est pas bonne ou mauvaise en elle-même, elle nécessite le développement d’un savoir faire et d’un art, que cela soit la construction en terre, en bois ou tout autre matériau, pour qu’elles donnent des résultats satisfaisants il faut qu’elles soient bien mises en oeuvre par des gens qui connaissent leur métier et qui se spécialisent pour obtenir des niveaux de compétences très élevés, cela permet aussi de résister à l’inflation normative parce que les normes se développent quand l’art du métier est faible.
Sommes-nous à l’aube d’une révolution sur le foncier avec le développement du Brs, on peut d’ailleurs se demander si un jour il touchera les catégories sociales plus aisées financièrement
On est sur un faux débat là-dessus, le foncier n’est plus un problème lorsqu’il est abondant, il faut donc se poser la question d’où viennent la rareté et la pénurie, comme on le disait précédemment il y a 20 000 000 de maisons déjà construites sur autant de parcelles et ces terrains pourraient accueillir facilement une, deux ou trois maisons supplémentaires, sur l’ensemble du territoire c’est bien de défendre les terres agricoles mais on doit défendre le
droit à densifier qui créera une abondance de foncier constructible accessible aux ménages modestes. Les solutions qui consistent à faire acheter à la collectivité ou aux établissements publics du foncier pour faire derrière du Brs ou d’autres formules ne pourront pas s’appliquer à grande échelle parce que cela coûte très cher.
Le point d’achoppement de l’urbanisme n’est-il pas aussi politique et principalement au niveau municipal
C’est le vrai problème, les électeurs sont des personnes qui sont déjà logées et construire des mètres carrés c’est d’abord pour de nouveaux habitants en attente d’un logement et qui ne votent pas encore à l’endroit où ils voudraient vivre. Cela se vérifie dans les programmes des élections, certains maires se font élire en promettant de limiter le nombre d’habitants alors que leur commune pourrait facilement en accueillir le double comme à Cesson Sévigné près de Rennes. Partout dans le monde se produit la métropolisation et la littoralisation, on ne le voit pas de prime abord mais en parallèle il y a beaucoup de territoires qui se vident. La Bretagne va connaître, à un horizon assez proche, un afflux massif de populations, c’est donc nécessaire que des communes comme Cesson Sévigné s’agrandissent de manière forte et rapide.
J’ai l’impression que l’inversion de l’urbanisme est une ficelle sur laquelle beaucoup de candidats tirent pour se faire élire
Oui, on le constate depuis 2014 les habitants votent de plus en plus aux élections municipales contre des programmes d’urbanisation qui ne leur conviennent pas, en 2026 on va assister à un concours national pour savoir qui va le moins construire et planter le plus d’arbres, alors que c’est bien évidemment une erreur d’opposer les deux. Les communes qui sont situées à proximité des grands bassins d’emplois ne devraient pas appartenir uniquement, à leurs habitants historiques, les grandes métropoles ne devraient plus être gérées comme des copropriétés.
Le zonage Pinel fait toujours référence
Les zones A et B1 représentent une petite partie du territoire, environ 5 à 6% mais c’est dans ces territoires que l’on a le cœur du problème de tension de l’accès au logement du fait de leur attractivité. Ce n’est pas impossible que dans 10 ou 15 ans voire plus tôt que ces territoires doivent obéir à un règlement d’urbanisme national et non plus local parce qu’au niveau local les habitants exercent trop de pression sur leurs élus pour, par exemple, faire baisser la hauteur des immeubles. Aujourd’hui déjà de grands équipements n’appartiennent plus aux habitants où sont situés ces édifices comme les centrales nucléaires, les gares TGV et tous les sites stratégiques du pays, donc certains cœurs d’agglomérations comme Rennes vont devenir des territoires stratégiques.
Il n’y a pas qu’à Cesson que le maire freine et temporise, à Liffré la commune du président socialiste de la Bretagne l’étalement urbain pavillonnaire est à son apogée
On peut rester comme ça dans 95% du territoire français, c’est logique et ça fonctionne bien parce que c’est presque une culture française institutionnelle, mais pour les 5 autres pourcent comme le bassin de Rennes, de Nantes ou de Bordeaux à partir du moment où l’on considère qu’un coeur métropolitain est un équipement économique stratégique du territoire national, nous serons peut-être obligés de considérer l’option de déléguer la gestion d’urbanisation à l’Etat.
Y’à quelque chose derrière tout ça
Est-ce que l’on considère que l’économie française est un sujet sérieux, si oui, il faut mettre le territoire au service de l’économie française pour continuer de financer le modèle social français et ses retraites. Tout le monde a bien compris que le contexte international est tendu, l’aménagement du territoire avec les infrastructures énergétiques, de transport, joue un rôle essentiel et depuis peu un phénomène nouveau que l’on vient d’identifier est le cœur
des grandes villes. Jusque dans les années 2000 les gens restaient très longtemps dans leur boulot, donc ils n’avaient pas besoin du centre de ville, dans le monde économique aujourd’hui à la fois dans les rapports employés-entreprises, entre les entreprises elles-mêmes, leurs sous-traitants et leurs clients vous avez un monde qui est beaucoup plus fluide et du coup le coeur d’une métropole devient une plateforme nécessaire pour qu’un employé qui va faire 10 jobs dans sa vie ait suffisamment d’offres d’emploi et se dise qu’il pourra s’y loger sur le long terme et parallèlement les entreprises ont besoin d’offre de logements pour attirer et garder leurs employés.
La France est à la traîne concernant l’urbanisation
En France avec un peu de retard sur les autres pays on est en train de découvrir que les causes de la métropolisation sont des causes économiques, si des gens sont prêts à payer 5000 euros du mètre carré pour vivre dans le centre ville ce n’est pas parce que la ville est plus jolie qu’ailleurs c’est juste que le monde économique a changé et que l’emplacement central est de plus en plus utile et stratégique, si vous changez de job tous les 5 ans vous ne pouvez pas habiter tout à gauche où tout à droite de l’agglomération, on a donc besoin de beaucoup plus de logements en centre ville, tout peut apporter sa contribution utile que cela soit la densification verticale ou la surélévation de l’existant.
Y’à encore le problème de la bagnole en centre ville
Il y a une économie du parking qui va se développer, certains acteurs économiques vont acheter du foncier pour créer du stationnement, les gens vont réduire leur budget pour l’habitation, je pense que les pouvoirs publics doivent laisser les individus arbitrer ces usages, avoir un appartement plus petit dans une ville qui est plus grande avec plus d’équipements et de services va intéresser de plus en plus d’habitants qui auront toujours le besoin ou l’envie d’avoir une voiture.
Dernière question, vous pensez qu’à Rennes il y aura prochainement 500 000 habitants ou 2 millions à Bordeaux
Oui les métropoles vont continuer de croître et c’est très bien, de Bordeaux à Arcachon on atteindra un jour les 2 millions, et la Bretagne qui est déjà très maillée, pourrait devenir une région économique très puissante comme le nord de l’Italie.