Entretien et portrait réalisés en Octobre 2012.
Vous avez été Maire de Rennes de nombreuses années, vous diriez que ça a été un long fleuve tranquille
“Non pas vraiment, beaucoup de dossiers d’aménagements ont été le fruit d’une décision politique très forte, il a fallu s’accrocher et tenir bon sur de nombreux dossiers.”
D’autant qu’en 1977 vous n’aviez pas d’expérience politique
“Je me suis engagé très tôt au Parti Socialiste dès l’âge de 24 ans. En 1973 j’ai été élu au Conseil Général d’Ille-et Vilaine avec 4 autres socialistes dont Jean-Louis Tourenne. Pour l’anecdote, nos détracteurs disaient qu’en 1977 il y a eu deux cataclysmes, la relégation du Stade Rennais en Ligue 2 et mon élection à la mairie.”
Et pourtant dès le départ vous avez tapé dans le vif de l’urbanisme alors qu’Henri Fréville avait été un grand bâtisseur
“Dès mon élection, j’ai décidé de nommer Henri Fréville Maire honoraire, mais les communistes s’y sont opposés, le temps a passé et quand il est décédé sa famille n’a pas souhaité que le dossier aboutisse, j’ai donc décidé de lui attribuer le nom de cette grande artère en hommage à la création du nouveau quartier du Blosne.”
Vous avez très rapidement marqué votre empreinte en vous attaquant au dernier grand projet d’Henri Fréville, le Colombier
“Le Colombier initié par mon prédécesseur Henri Fréville, comme la Part Dieu à Lyon, ou Mériadeck à Bordeaux était un mode urbanistique de l’époque de constitution de centres modernes dans les grandes villes. Le Colombier devait accueillir initialement du tertiaire supérieur, des cadres et des professions libérales qui devaient passer leur week-end à St-Malo ou dans le Golfe du Morbihan. Nous avons estimé que ce schéma n’était pas acceptable et qu’il ne correspondait pas à une réalité et c’est la raison pour laquelle la première décision que l’on a prise a été de diminuer le nombre de logements au Colombier pour inverser la densification, pour qu’il y ait plus d’espaces libres tout en prenant soin d’y créer plus de 1000 logements sociaux et surtout nous y avons installé un Centre Commercial en plein centre-ville.”
C’était novateur pour l’époque
“Oui tout à fait, on le voit avec tous ces centres commerciaux en périphérie partout en France qui ont considérablement appauvri les centres urbains. Le centre commercial du Colombier a agi comme un aimant, c’est l’exemple type de la mixité fonctionnelle.”
La mixité, ce mot vous l’avez prononcé des milliers de fois durant tous vos mandats
“La mixité est le moteur de toutes nos actions en matière d’urbanisme. A Cleunay nous avons réhabilité la cité de transit, on a créé des espaces verts, on a isolé les immeubles anciens, on a construit des logements pour des classes sociales moyennes, on a mis des services, des bureaux, et enfin permis l’implantation du Centre Leclerc. A Maurepas nous avons pu rénover et isoler énormément d’immeubles parce que les constructions initiales étaient très solides, pour l’anecdote lors de la construction dans les années 50 pour accélérer le séchage des plâtres ils utilisaient des locomotives pour pulser de l’air chaud dans les étages.”
C’est aussi au nom de la mixité sociale que vous avez décidé de la construction de la résidence Lucien Rose
“C’est un geste politique très fort de créer 80 logements HLM au pied du Thabor. La notion de mixité sociale est aussi de dire qu’une seule catégorie n’a pas à s’octroyer une zone résidentielle. Si nous n’avions pas eu cette volonté politique très forte nous aurions revendu ces terrains municipaux à des promoteurs pour y faire de logements de grand standing. Quand on parle de mixite sociale et plus directement de mixité il ne faut pas se contenter d’un mot il faut voir ce qu’il y a derrière.”
Vous pouvez développer
“Quand on est Maire on se doit d’être vigilant et faire en sorte que tous les types de mixité s’équilibrent. La mixité sociale bien sûr, mais aussi la mixité intergénérationnelle, la mixité géographique par exemple vous pourriez avoir plus de 25% de logements sociaux concentrés dans une seule partie de la ville, je me suis aussi farouchement opposé à la construction d’une résidence fermée à Cesson Sévigné dans laquelle on accède que par digicode, j’en ai beaucoup parlé avec le Maire et le projet a été abandonné.”
C’est au nom de la mixité cultuelle que vous avez construit le premier Centre Islamique
“Ce n’est pas de la mixité cultuelle mais culturelle, c’est pour cela qu’il s’appelle Centre Culturel Islamique. Cela me paraissait une évidence pour ces populations qui ont grandement contribué à la construction de la ville et pourtant les oppositions ont été extrêmement violentes et racistes, j’ai moi-même été injurié. Il y a des principes de vie commune que l’on doit respecter, le respect des autres, le principe de la laïcité de croire ou de ne pas croire.”
Pourquoi après l’incendie du Parlement de Bretagne vous n’avez pas saisi l’occasion d’y faire construire un nouvel édifice très contemporain, ça ne vous a pas traversé l’esprit
“Ah non pas du tout et je pense que vous avez tort dans votre analyse. Dans la vie il y a des symboles et le bâtiment est un symbole parce que les gens y mettent ce qu’ils veulent et avec beaucoup de différences, pour certains, c’est le palais de justice, pour d’autres c’est un témoignage de notre histoire, d’une certaine autonomie de la Bretagne, pour d’autres c’est une œuvre architecturale qui témoigne d’une histoire. Lorsqu’il a brulé et qu’il est détruit, je me suis dit qu’il fallait le reconstruire le plus rapidement possible. Le seul point sur lequel je n’étais pas d’accord c’est qu’il ne soit pas reconstruit à l’identique et que la charpente soit celle d’un charpentier de marine, on aurait fait appel à des connaissances artisanales mais ce n’était pas possible. Un moment qui m’a beaucoup ému c’est quand les allégories se sont effondrées, j’y étais attaché parce qu’en 1973 une de mes premiers dossiers de Conseiller Général avait été de les faire redorer.”
On vous sent encore très ému
“Je me souviens que les gens venaient voir le bâtiment fumant comme on venait voir un mort dans les fermes de ma jeunesse, son incendie était le symbole d’une déchirure et suite à cela il faut toujours chercher à rebondir. Il faut expliquer aux jeunes ce que sont les symboles dans une société, il faut des symboles pour réunir les gens, la reconstruction c’était aussi une réparation à la Bretagne.”
Autre sujet à la croisée entre l’architecture et le sport, le stade rennais, pourquoi s’opposer à son déménagement
« Déménager ce stade c’est prendre le risque de déstructurer un quartier. Effectivement les jours de match les abords du stade sont saturés, mais ce stade est aussi un symbole. »
Sérieux vous pensez que le Stade est le symbole de la route de Lorient, lol
« Effectivement. Ce stade fait aussi vivre tout un quartier et ne sous-estimez pas le coût financier de son déménagement. Il faut faire attention à ce que le Stade Rennais ne soit pas approprié et privatisé par quelqu’un qui utiliserait les espaces nouveaux du stade en tournant le dos à tous les efforts humains et financiers que la Ville a consenti depuis de très nombreuses années, pour mémoire en 1977 personne ne voulait plus s’occuper du Stade Rennais et il y a deux personnes qui ont accepté de s’investir, c’est Alfred Houget et monsieur Dimier. Leur action a été décisive pour sauver le Stade Rennais. »