#Jean-Roch Bouiller , directeur du Musée des Beaux-Arts de Rennes

Comment l’oeuvre de Zlotykamien s’est retrouvée au musée des Beaux-Arts de Rennes

C’est un peu de concours de circonstances heureuses, initialement je viens du Mucem à Marseille qui a une grosse collection d’art urbain et ma spécialité est l’art contemporain. Depuis mon arrivée à Rennes j’ai eu à coeur de faire beaucoup de partenariats avec les acteurs locaux de la création artistique dont l’association Teenage Kicks avec laquelle nous avons déjà organisé une manifestation qui avait eu beaucoup de succès en 2021 avec des artistes historiques de la scène graffiti, OX et IPIN. Précédemment j’avais été contacté par Jean Faucheur qui voulait mettre sur le devant l’artiste Gérard Zlotykamien mais hélas toute notre programmation était bouclée et heureusement une exposition n’a pas pu se faire et donc on a pu profiter d’un alignement des planètes aussi inattendu qu’heureux.

C’est d’autant plus heureux que Gérard Zlotykamien est un artiste inconnu du grand public et qui marquera certainement l’histoire de l’art, peut-être comme Jean Dubuffet juste avant lui

C’est intéressant avec un regard d’historien de regarder et de poser les choses, je n’aime pas cloisonner les différents courants de la création contemporaine, je préfère étudier les porosités, les zones qui se frottent, le fait de regarder le travail de Zlotykamien c’est une manière de réinterroger l’histoire de l’art de la deuxième moitié du 20ème siècle. On pense souvent que l’art du graffiti naît à New-York dans les années 70-80 en fait non c’est avec Zloty à Paris en 1963 qui le premier établit son atelier dans la rue.

Si on compare Zlotykamien à Ernest Pignon Ernest ou à d’autres artistes du street plus contemporains, je trouve que son expression picturale est assez frustre

il déstructure très tôt la figure humaine qui l’amène à ce motif, ce poncif dans son travail qui est ce visage le plus basique possible, le plus enfantin possible. Le dessin se pose de mille manières dans le champ de l’art contemporain, on peut l’investir ou ne pas l’investir, je ne pense pas que de son côté c’est une manière d’échapper au fait qu’il ne sache pas dessiner ou peindre, c’est un besoin profond qui naît à la fin des années 50 de se confronter à la  question de la figure humaine, de son anonymat, de l’accumulation.

Quand on regarde la manière dont il a investi le hall d’entrée et comment il a joué avec la sculpture de Francis Pellerin, on peut penser qu’il est plus un plasticien qu’un peintre, c’est d’ailleurs bien dommage que sa performance picturale soit badigeonnée dès la fin de l’exposition

Avec Zlotykamien on peut faire le lien avec des artistes d’art contemporain qui n’ont pas recours au dessin ou à la peinture, comme l’art minimal, l’art conceptuel. C’est un artiste qui est très attentif au in situ de par ses 50 ans d’art dans la rue qui l’ont aguerri à cette attention et attentif au support, à l’endroit où l’on peint d’où son acuité à l’installation et au rapport au lieu, et ici précisément la sculpture de Francis Pellerin prend une autre dimension, d’ailleurs pour lui c’est une revendication et le point de départ de son installation.

Je n’ai pas compris l’usage des sacs en toile postale posés à même le sol

Cet artiste nous renvoie tout le temps à son histoire familiale tragique et douloureuse et en même temps à la rue avec ses déchets qui jonchent le sol et son souci de peindre sur les matériaux les plus pauvres qu’ils soient, mais aussi à sa mère qui un jour lorsqu’elle est revient affamée des camps de concentrations se pose sur un sac de jute pour manger un quignon de pain et qui s’aperçoit que le sac est rempli de corps humains. Le sac en toile de jute l’a hanté toute sa vie comme un symbole des guerres, des exodes de migrants. Toute son œuvre est faîte d’un aller et retour entre cette figure simplissime du visage réduit à un rond, deux yeux et une bouche et cette confrontation à la matérialité du monde à travers tous ces matériaux pauvres qui sont tout le temps présents dans son œuvre.

 

#Mathilde Jourdain, Galerie Mathgoth

Avec votre mari vous avez une galerie spécialisée dans l’art urbain, c’est assez original

A l’origine nous étions de petits collectionneurs et par des rencontres et notamment avec Jean Faucher nous avons étoffé notre collection, puis nous avons proposé nos oeuvres acquises à des connaissances, puis à des connaissances de connaissances et ainsi de suite jusqu’à l’envie de proposer ces oeuvres à un plus grand nombre de personnes intéressées par l’art urbain. Nous avons commencé par créer un site internet, puis à organiser des expositions nomades et enfin nous avons ouvert notre galerie.

Plus qu’audacieux vous avez été téméraire et courageux

C’est l’amour de l’art qui nous a motivé plus que le côté financier parce que pendant plusieurs années nous avons fait beaucoup de sacrifices personnels pour aider les artistes qui nous faisaient confiance, on essaye de s’engager ensemble sur le temps long.

C’est la relation que vous avez avec Gérard Zlotykamien

Oui on travaille avec lui depuis le début, on a fait plusieurs expositions, on a édité une monographie et sur cette exposition à Rennes on a participé largement en recherchant des œuvres. Notre rôle est d’accompagner un artiste pour l’aider à travailler.

Dans l’art urbain, Banksy est-il l’arbre qui cache la forêt

On ne peut pas comparer Banksy et Zloty, Banksy c’est une entreprise, ils sont une dizaine autour de lui à générer du buzz. Zloty est le premier artiste contemporain qui a pris la rue comme atelier dès 1963 en jetant les fondements du Street-Art et ceci dans l’anonymat de sa personne, même si aujourd’hui il fait la Biennale de Paris et en étant dans les collections nationales. Il connaît énormément d’artistes contemporains et a une très bonne connaissance de l’art pictural.

 

#Jean Faucheur, Commissaire de l’exposition et street artiste international

En 1963 quand Gérard Zlotykamien commence à investir la rue vous avez 7 ans, à quel moment vous avez croisé sa route

Hélas je n’ai jamais eu l’occasion de voir son travail dans la rue, la première fois que j’ai vu ses œuvres c’était dans une petite galerie à Paris, celle de Charley Chevalier, lui je l’ai rencontré personnellement lors d’une exposition commune vers 1987 à la galerie Agnès B.

Faut dire qu’il est assez furtif, il n’a pas franchement le look d’un artiste mondain, vous non plus d’ailleurs, vous avez même un look de Zloty si j’en juge par les photos de vous sur internet, Lol

Mdr, ça c’est un beau compliment qui me touche beaucoup. Toute sa vie il est resté très en retrait du monde de l’art qu’il soit institutionnel ou marchand et si aujourd’hui ses œuvres valent un certain prix il en est le premier surpris. Sa vie dédiée à son travail force l’admiration, il a fait mille petits boulots anonymes pour garder sa liberté créatrice sans aucun compromis vis-à-vis du marché de l’art.

Même plus jeune que lui vous faîtes figure de patriarche dans le monde du street art, vous avez donc une certaine légitimité pour évoquer son oeuvre, personnellement ce qui me fascine avec Zloty c’est que contrairement à beaucoup d’artistes contemporains qui posent leur oeuvre dans l’espace urbain, chez lui ses oeuvres le phagocytent et l’aspirent

Son histoire personnelle est profondément traumatique même si on n’a pas besoin d’avoir des histoires traumatiques pour être un bon artiste, son message est très politique, il a enfoncé des clous les uns après les autres, on est dans un message presque spirituel, donc quand il met quelque chose quelque part il habite tout l’espace. Pour les générations qui l’ont suivi il a tracé un chemin qui est très droit, c’est une sorte de fil conducteur, si parfois on peut avoir des contradictions par rapport au marché de l’art, penser à son travail nous remet dans le sillon.

Quand vous créez le mouvement des frères Ripoulin vous ne l’associez pas à votre collectif, Lol

Non, à l’époque on était pas du tout de la même génération et je ne pense pas qu’il nous aurait suivi, Lol. On ne travaillait pas du tout de la même manière, nous on réalisait des œuvres chez nous que l’on collait ensuite sur des panneaux d’affichage.

Vous êtes aussi à l’initiative des MURS qui sont dédiés à l’art urbain, vous pensiez dès le départ que cette idée lumineuse continuera de briller si longtemps, y’en a même un à Rennes

Quand le projet a été lancé on avait fait une sorte de kit pour que d’autres gens puissent le faire facilement, pour nous il a fallu 3 ans et demi pour que le projet aboutisse, mais on n’imaginait pas que ça prendrait aussi bien, On a conçu ce projet parce qu’on en avait marre d’être poursuivi en justice pour dégradations. L’artiste le plus remarquable qui s’est emparé du MUR à ses débuts a été Zves, prononcez Zeus, chaque jour il mettait une barre sur son œuvre comme une prison qui se refermait pour dire qu’il n’avait besoin de la permission de personne pour peindre. 

Cela nous ramène à Zloty qui a été souvent condamné et qui aurait même pu aller en prison à cette époque. En plus contrairement à un Ernest Pignon Ernest qui a une démarche plus compréhensible au commun des mortels, son oeuvre ne sautait pas, artistiquement parlant, aux yeux des magistrats lambda

Zloty est radical et il l’assume et c’est remarquable.