Bon votre bouquin quand je l’ai acheté dans une librairie je me suis dit tiens je vais le lire tranquille et puis en fait c’est du costaud, dès la première page j’ai été obligé d’ouvrir un dictionnaire, vous avez pas l’air comme ça mais vous êtes un sacré intello, je voudrai comprendre votre boulot c’est de regarder la ville du coin de l’oeil

Je suis enseignant chercheur donc je ne suis pas un acteur, pas un praticien, pas un fonctionnaire, pas un élu, pas un urbaniste, mon boulot c’est de regarder ce qui se fait comment les gens travaillent à transformer la ville et à la gouverner.

Vous êtes un sociologue

Officiellement je suis en science politique mais en France ce sont deux disciplines qui ont les mêmes méthodes, les mêmes approches, aux Etats Unis la science politique est plus proche des sciences économiques, je dirai que je suis un politiste.

Comment dans votre parcours d’étudiant vous vous êtes intéressé à la ville

Mon père est architecte donc très vite j’ai vécu dans un environnement lié à l’urbanisme et dans mes études j’ai suivi un double cursus de science politique et d’urbanisme ce qui fait que lorsque j’ai voulu faire une thèse j’ai travaillé sur la fabrique des politiques urbaines.

Je me suis dit que ce bouquin avait tout l’air du cours que vous deviez donner à Science Po, Mdr

Non ce n’est pas le cours dans sa totalité, Lol, mais oui j’en parle dans certains cours, ce livre a clairement une dimension pédagogique

Quand vous avez présenté votre ouvrage à l’AGORA des Halles en commun à Rennes j’ai eu l’impression que vous vous justifiez, je ne savais pas que le néo libéralisme c’était aussi tabou, à croire que vous vous êtes fait tailler des deux côtés

J’ai écrit un livre qui présente des théories critiques de la néo libéralisation, qui considère que c’est LE processus qui fait changer les villes et les politiques urbaines mais j’ai voulu également faire une critique de la critique donc, ce n’est pas un bouquin militant, ce n’est ni un pamphlet ni un programme politique. J’en suis resté à un propos de chercheur qui présente des thèses qui ont été plutôt développées par d’autres et principalement dans le monde anglo-saxon pour essayer de les discuter, de voir comment elles peuvent être appliquées en France et d’en voir éventuellement les limites. C’est vrai qu’en lisant ce livre, certains m’ont trouvé ultra critique et d’autres pas assez.

La ville néolibérale est-elle intimement liée à la société néolibérale

C’est clair que dans les économies de marché dans lesquelles nous vivons la ville est largement produite par des mécanismes de marché avec, parfois, des pouvoirs publics qui essayent de généraliser ces logiques de marché en se débarrassant des logements sociaux, en privatisant les services publics, etc. Mais la ville néolibérale n’existe pas à l’état pur. Pour parler comme le grand sociologue Max Weber, c’est un idéal-type. C’est le résultat théorique de l’exacerbation de certaines évolutions à l’œuvre de manière éparse dans la réalité. Dans la réalité, si on voit ça et là des processus de néolibéralisation en France, on n’a pas tellement de villes qui correspondent à cet idéal-type de ville néolibérale. Dans des villes qui sont plutôt gouvernées par des majorités progressistes comme Rennes par exemple il y a une ambition des autorités de réguler les marchés, d’intervenir sur le logement, de maintenir les services publics. Si de temps il y a des logiques néolibérales cela ne veut pas dire que nos villes sont définitivement néolibérales.

Vous vous intéressez aux différentes villes selon les pays (formulation de la question à revoir à mon avis, Lol)

Effectivement il y a des villes qui ont subi des logiques de néolibéralisation à des degrés très divers, ce qu’il faut regarder c’est s’il y a encore des mécanismes des politiques publiques qui essayent d’éviter que le marché définisse tout. Quand on compare une ville nord américaine et Rennes par exemple ou Vienne en Autriche, vous n’avez pas du tout les mêmes situations. Dans un cas, vous avez des logiques de marché qui s’appliquent à peu près à toutes les dimensions de la vie sociale, l’éducation, les services, le logement, etc. Dans d’autres cas, à Rennes ou à Vienne, il y a une puissance publique beaucoup plus ambitieuse avec plus de souci de redistribution.

Quelles sont les alternatives à la néolibéralisation

Cela peut-être la sociale démocratie mais pas celle édulcorée de François Hollande mais une sociale démocratie plus combative qui historiquement a tout fait pour arracher un certain nombre de biens et de services aux logiques du marché. Il y a aussi des approches peut-être un peu plus utopistes, des initiatives d’économie sociale et solidaire qui font échapper certaines activités au marché. Il y a aussi un mouvement d’inspiration libertaire néo municipaliste qui essaie de multiplier les formes de participation citoyenne dans la gestion de la ville, dans la conception des espaces publics comme à Barcelone ou dans certaines villes anglaises. Et puis il y a des villes qui ne sont même pas néolibérales mais libérales au sens classique du terme. Dans les situations néolibérales, il y a souvent un état fort qui brutalise les sociétés pour généraliser les mécanismes de marché c’est pour cela que l’on le retrouve parfois dans des pays comme le Chili de Pinochet ou la Chine de Deng Xiaoping qui impose d’une manière totalitaire des logiques de marché. Le libéralisme plus classique c’est un système politique plus soucieux des libertés individuelles mais qui laisse faire un peu le marché sans trop tenter de le réguler comme dans beaucoup de villes françaises plutôt de droite comme à Bordeaux du temps d’Alain Juppé.

Pourtant dans la presse Juppé apparaît comme le créateur du renouveau bordelais

Ouais bof, son avantage c’est qu’il est arrivé après 20 à 30 ans d’immobilisme de Chaban donc c’était assez facile pour Juppé de refaire la ville en piquant les idées des villes de gauche. Il a fait ce que Grenoble, Nantes ou Rennes ont fait 20 ans avant lui en réintroduisant le tramway ou le métro et en réduisant la place de la voiture dans la ville par une piétonisation plus amplifiée dès la fin des années 70. A l’époque cela paraissait des politiques très disruptives parce que la droite ne voulait pas du tramway ou du métro alors qu’aujourd’hui c’est devenu l’alpha et l’oméga de l’attractivité des villes, et les villes de droite comme Nice, Bordeaux et Toulouse ont copié les villes de gauche.

Très récemment à Rennes et j’imagine ailleurs aussi, nombre de promoteurs ont été sauvés de la faillite parce que la Métropole a acheté des centaines d’appartements privés pour en faire du logement social

C’est des équilibres entre des politiques publiques plus ou moins ambitieuses, on est dans économies capitalistes mais la particularité de la France et peut-être d’autres pays européens c’est qu’au niveau urbain on est encore dans des économies très mixtes et c’est ça qui limite l’applicabilité des théories sur la néolibéralisation de la ville. C’est par ça que je termine mon livre. Les théories de la néolibéralisation c’est intéressant pour comprendre certaines dynamiques mais cela ne dit pas tout sur ce que font les villes et sur ce qui fait les villes. Je dis aussi que ce sont des théories qui ont été largement inspirées par des cas les plus radicaux d’application du néolibéralisme que sont la Grande Bretagne et les Etats Unis. J’écris dans la nuance même si j’ai bien conscience que la nuance n’est plus trop à la mode à notre époque.