Quelle est ta formation, être architecte a été une vocation  

Très jeune avec mes parents nous avons visité beaucoup de châteaux et de musées, j’ai donc été rapidement sensible au patrimoine historique, après le bac j’ai fait un premier cycle à l’école d’Architecture de Nantes, soit dit en passant une très bonne école qui offre une formation à la fois très pointue sur les techniques de construction et en même temps très ouverte sur beaucoup d’enseignements en parallèle comme la sociologie, l’histoire de l’urbanisme et ensuite j’ai fait mon deuxième cycle à l’école de Versailles. Ensuite j’ai travaillé dans différents cabinets d’architectes dont notamment celui de Roland Castro et après je suis parti comme coopérant en Tunisie et c’est là que j’ai eu un vrai déclic pour la conservation du patrimoine. En rentrant en France je suis rentré à l’école de Chaillot, ensuite j’ai travaillé de nouveau dans différents cabinets d’architectes spécialisés dans le patrimoine historique, j’ai passé des concours et je suis devenu architecte au service de l’Etat et mon premier poste a été Architecte des Bâtiments de France dans la Sarthe, j’y suis resté 6 ans avant d’être nommé à Rennes conservateur régional des bâtiments historiques en 2005 et aujourd’hui je suis chargé de mission à l’inspection générale des affaires maritimes.  

Autant rentrer tout de suite dans le vif du sujet, c’est quoi le patrimoine  

Le patrimoine c’est ce que nous avons à transmettre aux générations futures. Il faut le voir d’une manière dynamique, nous devons réfléchir à ce qui en vaut la peine, soit d’un point de vue architectural ou historique mais aussi social. Je pense par exemple à une conserverie industrielle que l’on a restaurée à Loctudy, architecturalement parlant elle n’a pas un grand intérêt mais il s’avère que c’est la seule qui reste en Bretagne et donc elle raconte l’histoire sociale des femmes de marins qui venaient y travailler. C’est notre rôle d’être clairvoyant sur ce qui doit être transmis. Un autre exemple c’est la salle du jeu de paume rue St Louis à Rennes. C‘est un bâtiment modeste mais sa valeur historique est considérable. Il faut remonter dans le temps à la fin du 16ème siècle, le jeu de paume c’était un peu l’équivalent du Roazhon Park d’aujourd’hui, c’était un lieu de distraction et qui générait aussi une forte activité économique, les gens payaient pour assister aux compétitions, il y avait de la restauration, des paris. C’étaient des lieux privés, on pense qu’il y en avait plusieurs autour de la place des Lices. 

La sauvegarde de ce site est à mettre à ton actif  

La sauvegarde d’un site historique comme celui-ci est un travail collectif qui implique beaucoup de partenaires différents, d’autant qu’un conservateur cherche à s’entourer d’experts. L’ABF est plus isolé et doit parfois donner des avis seul. Honnêtement nous ne connaissions pas bien ce bâtiment parce qu’au fil du temps il avait été complètement détourné de son usage initial, il est devenu un lieu de culte puis plus tard une sorte de buanderie de l’hôpital voisin. C’est en discutant avec la Ville de Rennes qui voulait le rénover qu’on s’est aperçu qu’il fallait s’y intéresser plus en amont. On a été alerté par sa structure particulière qui nous a fait penser qu’il pourrait s’agir d’un ancien jeu de paume, même si les références sont minimes parce qu’il n’en reste qu’un équivalent à Chinon. Ce sont avec des traces d’éléments de charpente qu’on a imaginé qu’il y avait une galerie extérieure qui recevait le public, de même les murs étaient en moellons jusqu’à une hauteur de 3,50 mètres et il restait le mur de bricoles en pierre de tuffeau sur lequel on faisait rebondir les balles. 

Pourquoi ne pas l’avoir restauré dans son jus 

Effectivement on aurait pu, mais ce faisant au passage on aurait fait disparaître des choses anciennes et on aurait sans doute regretté d’avoir été trop loin. C’est tout le dilemme d’une restauration, sachant que la meilleure préservation d’un bâtiment c’est son usage au quotidien. L’inutilité d’un bâtiment est son pire ennemi.   

Ce qui est dommage dans la finalité du projet c’est l’enrobé de la cour, jusqu’à la grille extérieure qui est d’une banalité affligeante 

Pour la conservation, l’important c’est qu’on sauve le plus gros d’un lieu pour qu’on puisse le transmettre aux générations futures, on doit faire des concessions sur la praticité des aménagements annexes d’autant que la Ville loue aussi la salle à des particuliers pour des réceptions privées.  

J’imagine que c’est un vrai casse-tête de doser la restauration d’un bâtiment ancien, VIollet-le-Duc n’a-t-il pas à son époque plus détruit et transformé que rénover 

Je pense que si Viollet-le-Duc n’avait pas restauré Notre Dame de Paris elle se serait effondrée d’elle-même tant elle était fragilisée selon le témoignage de Victor Hugo. C’est aussi grâce à lui que l’on connaît aussi bien l’architecture du moyen âge et l’art gothique. Parfois une restauration embellit considérablement un bâtiment, la flèche originelle de Notre Dame de Paris avait disparu et lui a décidé de la reconstruire et paradoxalement c’est en s’effondrant que la flèche a détruit la voute, au pied de laquelle on a pu retrouver des vestiges très anciens. La question actuelle étant de savoir quand arrêter les investigations archéologiques sachant que le Président de la République avait déclaré lors de l’incendie qu’il fallait la reconstruire le plus rapidement possible. 

Pourquoi lors d’une restauration ou la reconstruction d’un bâtiment ancien on ne décide pas d’y rajouter une touche contemporaine, la question est-elle incongrue 

Non pas du tout, on peut toujours se poser cette question, sachant que l’architecture est toujours un tant soit peu utopique. Mais la réponse n’appartient plus à une seule personne, la décision est collégiale. Je pense que chaque cas est particulier, on ne peut tout refaire comme c’était à l’origine, parce que les bâtiments évoluent au fil des époques, on ne doit rien décider dans la précipitation. 

Une grosse rénovation récente à Rennes, le Couvent des Jacobins 

Déjà il faut saluer la décision courageuse des élus d’avoir décidé l’implantation d’un centre de congrès en cœur de ville, il aurait été beaucoup plus simple de la construire en périphérie comme dans de nombreuses villes. C’est aussi cette décision qui a sauvé ce bâtiment qui était à l’abandon depuis de nombreuses années et qui, lorsqu’il était occupé par les militaires, avait subi de nombreux dommages. Malgré tout, la rénovation a supposé des sacrifices parce qu’il a fallu détruire des éléments patrimoniaux, du patrimoine archéologique, mais dans l’objectif que ce bâtiment soit réutilisé. Quand on a fait le premier inventaire il y avait un grand escalier à balustres, avec le temps on pensait qu’il était là depuis l’origine mais nos recherches ont démontré qu’il avait été remonté par les militaires, on a donc pris la décision collégiale de le déplacer. De même dans l’amphithéâtre originellement les gradins comme dans toutes les églises étaient orientés vers l’est, mais comme le chœur avait été détruit lors de l’agrandissement de la rue de St-Malo, on a autorisé la Ville à les orienter à l’ouest. 

Ah en fait au Patrimoine vous êtes assez cool concernant le dogme historique 

Cool c’est pas le terme qui nous définit le mieux, mais on pèse toujours le pour et le contre, dans cet exemple de l’orientation on avait une autre idée plus historique, mais on a jugé qu’au final c’était une chance pour ce bâtiment que la Ville s’y intéresse donc qu’il fallait faire des concessions au nom de l’intérêt collectif. Le meilleur outil de conservation du patrimoine c’est l’utilité d’un bâtiment, un magnifique bâtiment qui n’a aucune utilité contemporaine est voué à disparaître parce que personne ne va dépenser d’argent pour son entretien. 

En fait l’incendie du Parlement de Bretagne l’a sauvé d’une destruction programmée 

Ton raccourci n’est pas très cool, mais effectivement quand il a brûlé s’est imposée l’idée de savoir si la Cour d’Appel allait y rester alors que son départ avant l’incendie était sur la table. Malheureusement sa reconstruction n’a pas pu se faire avec les matériaux originels de structure parce qu’il avait été trop fragilisé lors de l’incendie, le risque était que les murs ne s’effondrent. 

Tu crois que dans un fond de cour ou de potager on peut encore retrouver un cabanon qui a une véritable intérêt patrimonial 

J’en suis persuadé, soit parce que les pépites sont bien cachées ou alors parce que jusqu’alors c’étaient des sujets qui ne nous intéressaient pas. 

Comme l’atelier Odorico rue de Léon qui a été rasé et les tesselles mises à la benne dans les années 80  

Je suis arrivé à Rennes en 2005. 

Et aujourd’hui quels éléments architecturaux contemporains vont susciter l’intérêt des conservateurs du patrimoine 

Paradoxalement c’est plus facile et beaucoup plus économique de restaurer des bâtis de pierre et de bois que ceux en béton. Le problème du béton c’est qu’il faut entretenir les bâtiments très régulièrement. 

L’architecture contemporaine de la  Ville de Rennes est très signée du Brutalisme notamment par le travail de Louis Arretche ou encore plus reconnue internationalement par la tour de la Sécurité Sociale place du Général de Gaulle de l’architecte Claude Flambeau 

Concernant Louis Arretche je voudrais souligner l’initiative courageuse entreprise principalement par le promoteur Jean-Paul Legendre de restaurer le bâtiment de la Mabilais, personnellement j’aurai trouvé dommage qu’il soit laissé aux bulldozers. Une autre construction remarquable de cet architecte est la faculté de Droit. Concernant la tour de Claude Flambeau ce seront les générations futures qui décideront en fonction de l’usage qu’ils feront des bâtiments s’ils les conservent ou non. 

Et la nouvelle tendance de ne conserver que la façade d’un immeuble pour l’intégrer à un nouvel ensemble contemporain, tu aurais préféré une ré-habitation prônée par des architectes comme Patrick Bouchain 

Pourquoi ne pas conserver tout le bâtiment effectivement ou alors tout raser. Je trouve que le patrimoine ce n’est pas qu’une façade, l’architecture c’est un espace qui est distribué avec des usages. Ne garder que la façade c’est un peu un alibi pour faire joli, je suis très réservé sur cette pratique. En revanche dans un quartier patrimonial comme la place Hoche je trouve très réussie l’extension du bâtiment Norac par les architectes Maurer et Gilbert. 

 T’as déjà 55 ans ton poste actuel c’est ton bâton de Maréchal 

Je ne sais pas mais je resterai toujours très attaché à la restauration du Patrimoine, ceci-dit je suis beaucoup plus jeune que toi.