Etre architecte chez les Perrin c’est un héritage ou c’est un atavisme
Ce n’est pas un atavisme parce que seule une nièce est aujourd’hui architecte. Pour ma part j’ai pris des chemins détournés pour le devenir puisque j’ai d’abord été cuisinier avant de faire l’école des Beaux-Arts de Rennes et j’ai eu beaucoup de chance d’y entrer puisque je n’avais pas le baccalauréat, à l’époque ce n’était pas rédhibitoire. C’est peut-être un héritage parce que au lendemain de l’obtention de mon diplôme mon père m’a donné les clefs de son bureau et il n’y a plus jamais mis les pieds, j’ai profité de l’expérience de Georges Martin pendant trois ans pour me familiariser avec les clients et les dossiers en cours.
Vous avez aussi eu la chance de devenir professeur à l’école d’archi sur une matière qui vous passionne, le design
Oui au lendemain de l’obtention de mon diplôme j’expose mes créations chez Forme nouvelle et lors du vernissage le directeur de l’école Jean-Claude Guillerm m’a proposé d’enseigner cette matière parce que j’avais déjà une solide expérience en tant qu’éditeur et lauréat du concours international d’aménagement du musée de saint Lô d’Eugène Leseney et l’obtention du SAD de Bronze au Grand Palais. Pendant 35 ans dans mon atelier j’ai guidé les étudiants à la confrontation à l’échelle 1, à la matière, la lumière, l’ergonomie, aux entreprises et à la maîtrise des interfaces.
Pourquoi ne pas avoir choisi le métier de designer
Ce qui m’a beaucoup plu dans le métier d’architecte c’est la relation avec les gens, on crée d’abord un espace de vie, on a aussi beaucoup de contacts avec les artisans, les administrations. Designer c’est comme cuisinier on reste dans son labo et on voit peu de monde, j’ai besoin de relations sociales. A l’école j’avais aussi un atelier d’archi ce qui me permettait de repérer les meilleurs étudiants pour les prendre en stage, Mdr.
Ah donc vous avez formé toutes les générations d’architectes depuis 35 ans à Rennes, donc si c’est moche aujourd’hui c’est de votre faute, Lol. Franchement, et là je parle non genré, les architectes ce sont des drôles de mecs
Je suis assez d’accord, en fait ce sont des artistes brimés. Souvent il leur manque la facette artistique, perso j’ai toujours été attentif lors de mes enseignements à ce qu’ils l’expriment, généralement dans les écoles d’archi on enseigne l’art mais d’une manière parallèle.
Pourquoi des architectes rennais se lâchent à Nantes et y expriment leur créativité alors qu’à Rennes, aujourd’hui, ils construisent des casernes, d’accord c’est une ancienne ville de garnison, mais quand même
A la décharge des architectes, en tout cas pour ceux qui travaillent pour des promoteurs, leur créativité est très souvent brimée parce que leurs clients sont souvent obsédés par la rentabilité et les économies d’échelle. La ville de Nantes avait des friches industrielles qui ont ouverts de grands espaces architecturaux. Rennes en revanche, dans les années 90, a bénéficié de la vision urbaine novatrice de Jean-Yves Chapuis et c’est en partie grâce à son appui que le projet du Couvent a abouti.
Alors pourquoi vous n’appréciez pas le travail de Frank Gehry parce que lui il se lâche
Gehry a toujours eu une architecture hors contexte j’ai beaucoup aimé la première partie de sa production c’était un artisan qui concevait ses projets en maquettes avec sa recherche qui transpirait l’humanité dans ses projets , les imperfections prenaient leurs places et participaient ainsi à l’épaisseur de ses projets et puis dans la deuxième partie de sa vie l’informatique a aseptisé son architecture en retirant toute son humanité .
Et alors c’est pas mieux d’être hors contexte, ça casse l’uniformisation, votre couvent des Filles de Jésus on peut pas dire qu’il passe inaperçu
J’ai fait très attention à ce qu’il s’inscrive dans son environnement même si son architecture est singulière, de la même manière quand Christian de Portzamparc a dessiné les Champs Libres il m’a contacté pour équilibrer la hauteur de son parallélépipède proche du couvent et ainsi la caler sur la mienne. La difficulté que j’ai rencontré a été de résoudre la demande de l’ABF qui voulait que je pose un toit d’ardoise pour être raccord avec l’hôtel particulier à l’ouest, j’ai dû le convaincre que ce n’était pas une bonne idée.
Vous avez eu du bol d’avoir cette commande exceptionnelle vous qui n’aviez qu’une trentaine d’années, mais dans votre carrière cela n’a pas été l’arbre qui cache la forêt
Mon père et son associé avaient beaucoup travaillé dans le monde religieux donc j’ai profité de la confiance réciproque. Ce couvent a pu réunir différentes générations de sœurs qui avaient des points de vue divergents et en cela c’est une grande satisfaction pour moi. Mais vous avez raison après sa réalisation j’ai eu une traversée du désert, j’étais catalogué comme un bétonneur et cela faisait peur, jusqu’à ce qu’un ingénieur me conseille de le supprimer de mes références et j’ai enfin pu être retenu pour des concours.
Comme beaucoup d’architectes de votre génération vous avez bétonné à tout va, votre père avait travaillé sur la salle omnisports avec Louis Arretche.
Le béton on le sait ça consomme beaucoup d’énergie fossile pour produire le ciment et en plus depuis la fonte des glaciers la production de sable se réduit rapidement, en revanche le béton est produit localement contrairement à l’acier ou le verre. Le bois quant à lui sera t’il capable d’être utilisé pour faire des tours de grande hauteur, les questions sont sur la table. Mais bon j’assume j’ai adoré ce matériau.
Pour en revenir au contexte qui vous est cher, ce que j’ai apprécié lors de la visite de la journée du patrimoine c’est l’harmonie des courbes et des lignes droites et aussi cette perspective de cathédrale à l’intérieur
A cette époque je faisais beaucoup de plongée sous-marine et j’ai voulu retranscrire ces fosses marines le long des parois verticales, ce que vous voyez comme une perspective. La façade carrée de la chapelle est une figure allégorique de Spinoza et en particulier sa vision de Dieu à travers le cosmos, j’ai placé aléatoirement une série de points lumineux de différentes couleurs pour représenter la voûte céleste et lorsqu’on allume l’intérieur de la chapelle les canons multicolores s’éclairent et se distingue alors, de la rue, la grande ourse en jaune. Pour le travail des courbes c’est intéressant de les tendre. Pour la façade j’ai pris appui sur les failles du bâtiment de l’autre côté de la rue qui est aujourd’hui un hôtel. Je me suis aussi intéressé au trafic des bus avec la gare routière très proche il y passait chaque jour près de 500 bus, c’est pour ça que j’ai dessiné ce coup de crayon horizontal sur la rue Magenta.
Article intéressant pour quelqu’un qui n’est pas de la profession, et de plus qui connaît Rennes.
Merci Bertrand
Bonjour Hervé,
Le Couvent des filles de Jésus est l’un des bâtiments que j’avais remarqué et apprécié lors d’une ma première visite à Renne en descendant le boulevard depuis la gare vers le théâtre de Bretagne. J’avais été surpris par la qualité des bétons et la précision du dessin des façades. Les soeurs sont bien protégées. C’était avant la construction des Champs Libres.
Merci