Vu votre barbe bien blanche j’imagine que vous faîtes partie des générations qui ont fait leurs études d’archi à l’école de Beaux-Arts

Oui c’était avant la réforme et d’ailleurs Rennes était une succursale de Paris, tous les examens avaient lieu à Paris, on prenait le train pour présenter nos projets.

Vous avez aimé cette période où l’archi était sous la tutelle des Beaux-Arts

Personnellement j’ai trouvé que c’était très sympa, il faut dire que nous n’étions qu’une dizaine d’étudiants en première année et il y avait un directeur distinct par école et on profitait de leur rivalité pédagogique. Il y avait quand même des profs des Beaux-Arts qui nous enseignaient le dessin, la sculpture, les volumes, pour accéder à l’école d’Archi il fallait passer un concours national avec des matières scientifiques, mais contrairement à aujourd’hui la sociologie ne faisait pas du tout partie du cursus. La formation était scindée en deux groupes de niveaux mais il n’y avait pas de temps déterminé pour achever notre formation du fait de la durée de la guerre d’Algérie, certains étudiants ayant passé 27 mois sous les drapeaux. A cette époque le ministère de la Culture était envié par l’Education Nationale qui voulait récupérer l’enseignement de l’architecture avec l’appui de la DDE qui lorgnait sur l’Urbanisme. C’est Malraux qui a mis fin à ces tensions et qui a défini l’enseignement actuel. 

Vous êtes diplômé en 68 et donc vous embrayez direct parce qu’à cette époque ça construisait de tous les côtés

Durant mes études je bossais déjà dans plusieurs cabinets et une fois diplômé j’ai rejoint Roginski avec lequel je me suis associé rapidement. A cette époque il n’y avait pas beaucoup de groupes de promotion immobilière, il y avait assez peu d’architectes et uniquement des hommes, ce qui était à la mode c’était les lotissements. Personnellement je  ne faisais pas plus de 2 ou 3 maisons par an, c’était un gros investissement de temps. J’ai préféré développer une clientèle de collectifs sur le bassin rennais et je me suis même un peu spécialisé dans les équipements sportifs en Ille-et-Vilaine et même sur la Bretagne ainsi que dans les maisons de retraite.

Vous n’avez pourtant pas le physique du sportif accompli Lol

J’ai construit plus d’une trentaine de complexes sportifs, c’est un exercice intéressant sur le plan de la structure, je travaillais avec un très bon ingénieur de Lorient. J’ai aussi fait des groupes scolaires, mais il faut bien comprendre qu’à l’époque les grands chantiers étaient barrés aux architectes locaux, la Ville de Rennes ne voyait que par les architectes parisiens.

C’est encore le cas aujourd’hui et les Hollandais ont la côte

Beaucoup moins car on voit de plus en plus d’architectes locaux associés à de beaux projets.

Dans votre parcours vous aviez une patte pour que les gens se disent “ ah ça c’est du Chouzenoux”

Non pas particulièrement, dans tous mes projets je pense que l’on peut trouver les mêmes intentions, c’est-à-dire les réponses à la machine que doit être un bâtiment. Un bâtiment est une machine qui répond à des attentes diverses et qui doit s’insérer dans le paysage, sauf bien sûr quand la création est tellement forte que c’est le bâtiment qui crée le paysage, comme la Tour Eiffel et Beaubourg ou Les Horizons et l’immeuble de Jean Nouvel à Rennes, de Maillols il faut aussi citer un autre immeuble encore plus novateur et audacieux et qui reste une référence exceptionnelle, celui du quai de Richemont.

Comment reconnaître un bel immeuble

La rigueur est une valeur essentielle et aussi comment la construction va interagir avec les autres immeubles environnants. 

Quel est votre sentiment sur les tendances actuelles, le réversibilité par exemple

C’est un peu du pipeau, comment se projeter dans le futur, comment savoir si dans 30 ans on sait ce qui se passera là où est le bâtiment en question, l’architecture ce n’est pas juste de changer le papier peint, on aura beaucoup de mal à faire des objets identifiés et créateurs de réactions et d’espaces.

Et l’usage du bois en construction vous y croyez

Les qualités structurelles des bois exotiques sont indéniables, pour le chêne du coin qui part se faire découper en Chine et qui revient tranquillement en cargo l’usage n’est qu’intérieur, le chêne se fend rapidement en séchant, et le pin doit être traité très régulièrement, à mon avis les garanties décennales vont être en alerte concernant le bois.

Pour en revenir au projet architectural et à la création, n’y a t’il pas trop de contraintes de l’administration et surtout de tout ce millefeuilles d’avis et de commentaires de gens avisés sans compter les politiques

A mon avis oui, les Architectes des Bâtiments de France ont un métier épouvantable. Globalement ils ne peuvent dire que Non, d’autant qu’on leur soumet parfois et pas seulement en ville des projets mal conçus. Pour ce qui est de tous ces avis il faut dire Oui Mais, et c’est le Mais qui est important, il faut être pédagogue, convaincant.

Donc un architecte sourd muet ça n’existe pas et un urbaniste c’est quoi ? c’est ni plus ni moins qu’un géomètre-expert qui n’enfile jamais ses bottes

Les urbanistes ont un métier extrêmement difficile parce qu’ils doivent mettre en place des éléments de la ville sans maîtriser dans le fond les objets qui la composent. Une rue n’est pas qu’une juxtaposition d’objets.

La densité c’est l’avenir

La France est le pays d’Europe qui consomme le plus de terres agricoles, on peut aussi décider d’aller faire pousser les carottes dans un autre pays, c’est un choix. Encore aujourd’hui le rêve pour la majorité des ménages est de posséder une maison avec un jardin, mais à moyen terme cela sera t’il encore possible ou souhaitable ?