Tu as choisi cet immeuble comme arrière-plan de la photo, j’imagine que tu le trouves beau pourtant ça ne saute pas aux yeux
Les bâtiments anciens qui lui font face sont costauds et celui-ci leur répond bien par sa force architecturale. Dans une ville on ne doit pas toujours provoquer des ruptures, et d’ailleurs cet immeuble de Roland Simounet, aujourd’hui, les gens ne le remarque plus. Petit clin d’œil, si l’on y regarde bien, une maison est intégrée dans la façade, et le magnifique appartement au-dessus de l’entrée principale a une terrasse privative au sommet comme un autre clin d’œil à ses origines algériennes et comme les fenêtres qui sont un peu en recul par rapport à la façade parce qu’en plein sud il peut rapidement faire très chaud même à Rennes. Et telle une porte Maure quand tu sors de la résidence tu es directement dans la ville, l’espace est ouvert contrairement aux immeubles plus récents qui sont souvent cadenassés.
Roland Simounet ? comment tu le connaissais ce gars-là parce qu’il n’est pas breton
J’admirais son travail notamment le Musée de Préhistoire d’Ile-de-France à Nemours, et j’avais pu l’écouter dans une conférence à Rennes. Je suis très heureux de mon initiative d’avoir pu se faire rencontrer le promoteur Pierre André et Roland Simounet. Au-delà de l’architecte c’était aussi le personnage, il pouvait tout à la fois travailler pour des gens modestes et pour des gens très riches.
Mais pourquoi cette notion d’intégration revient toujours dans le langage architectural
Un architecte peut provoquer des ruptures mais il est important qu’il prenne en compte la morphologie de la ville et si tu décides de provoquer une rupture cela doit être un choix réfléchi et assumé tel Jean Nouvel avec l’Institut du monde Arabe à Paris, c’est un bâtiment qui ne ressemble en rien à ceux de son environnement immédiat et en même temps formidable par son intégration, habilement il a mis en parallèle le bâtiment et la courbure de la Seine.
Jean Nouvel quand il vient à Rennes il a voulu faire un immeuble qui ne ressemblait à rien
J’ai aussi fait se rencontrer Michel Giboire et Jean Nouvel. Nouvel a suivi la morphologie des quais et l’histoire fluviale et commerciale de la Vilaine, moi je le vois comme une lanterne qui signale et éclaire par sa transparence.
Les Champs Libres c’est aussi de ton époque
Je n’ai pas voté pour ce projet, ensuite le chantier a été compliqué et il a fallu la poigne d’un très bon maître d’ouvrage urbain Christian Lepetit pour canaliser Christian de Portzamparc alors que le premier intervenant n’y arrivait pas.
Il paraît que tu ne signais les permis de construire que si les parents pouvaient s’ébrouer la nuit sans réveiller les enfants, c’est peut-être pour cela que la natalité a explosé à Rennes
Effectivement et c’est une très grande fierté parce que j’ai été un des seuls adjoints à l’urbanisme sinon le seul en France à m’attacher à ne signer des permis de construire que si les plans des appartements respectaient l’intimité nuptiale alors qu’aujourd’hui les promoteurs ne parlent que d’espace jour et d’espace nuit.
La densité et la mixité sociale sont des vocables qui reviennent tout le temps dans le langage
La densité ne veut pas dire grand-chose si elle est trop éloignée de la qualité. Dans les immeubles Haussmannien, l’étage noble est au premier et les chambres du personnel sont au dernier étage alors qu’aujourd’hui avec les maisons sur le toit il y a une inversion totale. Moi je ne parle jamais de mixité sociale spatiale, c’est vrai que souvent quand on crée des logements sociaux dans des quartiers huppés les nouveaux habitants n’y restent pas plusieurs années parce qu’il faut aussi tenir compte de l’offre commerciale environnante. Il faut permettre aux gens de choisir l’endroit où ils veulent vivre en fonction de leurs contraintes et de leurs désirs.
Tu aimes bien transmettre c’est pour ça que tu as été l’homme des passerelles à Rennes, même si tu as commencé par détruire celle enjambant la voie ferrée
A partir du moment où l’on pouvait passer du nord au sud par la gare elle n’avait plus lieu d’être même si certains élus de gauche s’y sont opposés. J’ai organisé des concours d’architecture et des architectes de grande qualité ont pu s’exprimer comme François Deslaugiers pour la passerelle des Bonnets Rouges ou Sirvin Achitectes pour la passerelle St-Germain, hélas les dernières passerelles ont été achetées sur catalogue et je trouve cela vraiment dommage pour l’esprit architectural.
Tu as été un peu le bourgeois de service d’Edmond Hervé et en même temps tu as pris ton pied en tant qu’adjoint à l’urbanisme parce qu’Edmond Hervé n’était pas franchement intéressé par le sujet
Edmond Hervé se passionnait pour le logement et son accession au plus grand nombre, ensuite les questions sociales et culturelles et enfin le dynamisme des entreprises dans la mesure où elles pouvaient créer de l’emploi. Nous ne sommes que deux adjoints à l’urbanisme à avoir connu autant de liberté par rapport à leur maire, c’est L’ancien député RPR Henry Chabert qui avait été aussi adjoint des maires de Lyon Michel Noir et Raymond Barre et moi-même. La seule fois où il s’est énervé à mon encontre c’est quand on a décidé de réserver les quais sud uniquement pour les bus par crainte d’une évolution trop rapide, mais il faut aussi noter qu’il avait un profond respect des élus dans leur délégation. La politique sociale c’est aussi que les gens puissent se déplacer facilement, il fallait donc privilégier les transports en commun, d’autant qu’au même moment on venait de terminer toute la rocade, il n’y avait donc plus lieu de laisser les voitures traverser Rennes sur les quais à l’époque.