Vous portez allègrement vos quelques dizaines de printemps
Je suis d’une génération qui a connu l’enseignement de l’architecture à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, avant les évènements de 1968, évènements qui ont entrainé une complète transformation de cet enseignement.
Vous avez dû en tailler des milliers de crayons
A cette époque, on dessinait les projets à la main. Et dans les agences d’architecture, il faut imaginer le travail que cela représentait et surtout le nombre de collaborateurs et dessinateurs nécessaires pour réaliser un très grand projet d’habitat. Certains dessinaient les appartements tandis que d’autres dessinaient les façades. C’était l’époque des grands ensembles et du « chemin de grue ». On en voit les conséquences aujourd’hui. J’ai encore en mémoire l’odeur de l’ammoniac pour le tirage des calques. On était très loin des logiciels et de l’intelligence artificielle des ordinateurs qui ont parfois pris le pas sur la tête et la main au détriment de la réflexion et du temps long.
Je ne sais pas si Rennes devient belle ou pas, je trouve que bon nombre d’immeubles se ressemblent
Une ville n’est pas faite seulement d’immeubles, de constructions mais de rues, de places, d’espace urbain, espace communautaire. Souvent les gens se raccrochent à une façade mais l’architecture n’est pas qu’une enveloppe, l’important c’est le traitement de l’espace et de la lumière.
Pourtant on reste très influencé par les façades du style Haussmannien
A cette époque les architectes ne se préoccupaient pas du ressenti des habitants. Ce n’est véritablement qu’à partir des années cinquante, soixante, que, sous l’influence de sociologues, de philosophes, les architectes ont changé leur manière de penser l’architecture et la ville.
Ce ne sont pas les architectes qui initient les nouvelles tendances
Non, les architectes suivent parfois les soubresauts de la société mais il n’y a pas de mode, au sens habituel, en architecture. C’est plus sérieux.
Le traitement de l’espace et de la lumière c’étaient vos enseignements
L’enseignement de l’architecture, comme je l’entends, est basé, entre autres, sur deux points essentiels : concevoir un projet, qui réponde d’une manière intelligente à une commande précise. Le projet doit être signifiant et apporter une réponse juste et pérenne. Et aussi comprendre le site sur lequel est envisagé le futur projet.
Soit dit en passant ça ne devait pas toujours être simple d’avoir des interlocuteurs dans les communes qui n’étaient pas des flèches en architecture
Le niveau de connaissance des élus s’est considérablement amélioré, même si l’architecture n’est toujours pas une matière enseignée au lycée. L’architecte doit expliquer son projet, convaincre et aussi partager sa motivation. En architecture il n’y a aucune vérité, il n’y a que des réponses différentes. Pourtant un principe est toujours fondateur du projet : comprendre un site, un lieu, s’intéresser à son histoire, rechercher les traces, les trames, les tracés. Le projet architectural n’est pas hors-sol. Aujourd’hui il y a une erreur sémantique qui revient dans le langage, on confond le logement et l’habitat. L’appartement n’est pas un produit financier. C’est un lieu de vie.
On a une image de certains architectes mégalos et plein aux as
Pas mégalo mais il doit être convaincu par ce qu’il propose. Il est l’auteur, le concepteur unique d’un projet et comme il y a tellement de contraintes, s’il ne croyait pas à sa proposition, son projet ne résisterait pas. Il faut une capacité à défendre un projet. Pour ce qui est de la fortune, les architectes sont rarement fortunés. Ce ne sont pas de grands gestionnaires. Pour mémoire, Georges Maillols, a terminé sa vie dans un petit appartement d’un immeuble qu’il avait réalisé dans le quartier de Bourg L’Evêque.
Vous avez bien connu Louis Arretche
Louis Arretche avait la capacité de concevoir et de mener à bien de grands projets. Il avait la maîtrise et la rigueur de la grande composition. Il faut imaginer les besoins de reconstruction dans les années d’après-guerre. Il est arrivé à St-Malo pour entreprendre la reconstruction d’une ville totalement détruite. Il a eu la grande intelligence de respecter le patrimoine historique de cette ville et de s’atteler à sa reconstruction presque à l’identique. Le Corbusier avait été aussi sollicité et heureusement son projet d’y édifier une ville moderne n’a pas été retenu et pourtant je suis un très grand admirateur de son travail d’architecte.
Quel bâtiment de Louis Arretche méritera d’être sauvegardé à Rennes
Sans hésitation, la faculté de Droit qui est d’une architecture très remarquable. C’est un bâtiment d’une grande puissance architecturale. Son originalité est qu’il l’a fait pivoter de 90° par rapport à la rue de Fougères avec une placette entre son bâtiment et le Restaurant universitaire. L’écriture architecturale est très bien maîtrisée et les détails ont été parfaitement dessinés et réalisés. Je suis admiratif de la qualité du dessin des ouvertures. Plusieurs autres projets sont évidemment dignes d’intérêt comme les ensembles universitaires et la Salle omnisports.
Et de Georges Maillols
Pour Maillols on pense toujours aux Horizons ou à la barre St-Just mais celui que je préfère est l’immeuble qu’il a construit sur le quai de Richemont à l’angle de la rue Hippolyte Lucas, il est très aérien et je me souviens avoir été très impressionné lors d’une visite d’étudiants de l’école d’archi de la qualité de ses fondations.
Pour l’avenir ne pourrait-on pas imaginer un nouveau plan d’urbanisme et déplacer la Cité Judiciaire en zone industrielle près de la prison ce qui éviterait les sirènes hurlantes de l’administration pénitentiaire dans la rue de Redon
On peut tout imaginer mais il faut toujours mettre en avant le symbole et le message que transmet un bâtiment public. Un Palais de Justice doit garder une place centrale dans une cité. A Rennes, la prison des femmes est près de la gare. Ce n’est pas un hasard. C’est une loi de la moitié du 19ème siècle qui imposait la construction d’une Centrale proche d’une gare pour que les familles des prisonnières puissent venir les visiter. Je sais que certains auraient souhaité, après l’incendie, construire un nouveau Parlement, d’écriture plus contemporaine, mais làaussi le symbolique prime et ce n’est pas le Palais de Justice mais le Parlement de Bretagne qui en fait un symbole extrêmement fort.
Comme Louis Arretche vous vous êtes professionnellement investi dans l’architecture des lycées
Effectivement, je suis intervenu sur la rénovation du Lycée Emile Zola, pour lequel j’ai bien pris soin de m’attacher à ce que tous les nouveaux éléments puissent être « virtuellement » enlevés dans le futur. C’est ce que j’appelle la réversibilité. J’ai demandé que l’on conserve dans leur jus les salles de chimie, célébrées par Alfred Jarry, les 2 petits amphithéâtres de sciences et la salle de collection dessinés par l’architecte Martenot. Au lycée de Cesson Sévigné, j’ai pris en compte le site, avec le cours de la Vilaine et le souvenir des inondations, en ne construisant pas un bâtiment le long de l’Avenue qui aurait fait barrage à l’eau.
Quand vous vous baladez vous mettez des œillères pour ne pas voir certaines mochetés
Non, pas du tout, je regarde tout avec soin et surtout j’essaye de me mettre à la place de l’architecte, j’aime beaucoup les nouveaux immeubles contemporains du Mail notamment ceux aux deux extrémités.