Portrait initial : Florent Larronde – retouches photo : Bertrand 

Quand on prône la frugalité, ne peut-on pas être accusé de malthusianisme ou est-ce que l’on peut concilier frugalité et construction à grande échelle pour satisfaire une grande demande de logements
Dans ma carrière je n’ai fait pratiquement que du logement social, pensez que l’écologie ce n’est que pour les bobos c’est une vieille histoire un peu triste, car la réalité c’est tout sauf ça. On a livré récemment un éco-quartier, les Noés, à Val-de-Reuil dans l’Eure qui est à 100% destiné à des logements sociaux, initialement les habitants n’étaient pas directement concernés par l’architecture écologique, ils avaient avant tout un besoin de logements. Sur ce sujet nous allons éditer un ouvrage avec le Moniteur, et pour le rédiger nous avons sollicité un sociologue qui a demandé aux habitants ce que l’écologie leur avait apporté et les réponses sont claires, ce qui en ressort c’est que les habitants ne payent pratiquement pas de charges de chauffage, et, en plus, la bonne isolation phonique leur fait oublier la présence de leurs voisins.
Le végétal peut prendre une dimension sociale
La paix sociale passe aussi par la qualité environnementale et quand le végétal est omniprésent les choses s’apaisent d’elles-mêmes, à tel point que peu de temps après la livraison du programme toute la commune savait que les habitants des Noés étaient des privilégiés et cela a déprécié tous les programmes plus anciens construits aux alentours et notamment un quartier pavillonnaire de maisons Phénix préfabriquées des années 80. Dans la foulée le maître d’ouvrage qui est aussi propriétaire de ces pavillons a eu la réaction intelligente de nous demander de les réhabiliter avec les mêmes valeurs que celles de l’écovillage en écartant les voitures et en amenant de la couleur, du paysage. Au final les habitants ont créé une association de résidents des deux quartiers, tellement ils partagent maintenant les mêmes qualités de vie, des valeurs environnementales et écologiques.
Techniquement comment vous faîtes pour placer l’écologie au cœur de la construction, ce n’est pas très habituel chez les promoteurs bétonneurs conventionnels
Premièrement il faut se poser la question de savoir comment on peut avoir de l’énergie calorifique pas chère, comment avoir de la lumière pas chère, de l’air pas cher. La réponse est simple ces trois sources d’énergies se récoltent par les fenêtres, donc la première action est de bien orienter les logements de telle manière à ce qu’au 21 décembre vous ayez au moins deux heures de soleil, vous isolez les bâtiments par l’extérieur et puis vous mettez de
l’inertie à l’intérieur pour servir de tampon thermique entre les moments chauds ou froids. Finalement aux Noés la plupart des habitants ont peu besoin d’allumer leurs radiateurs.
Ah oui donc la construction écologique ne manque pas d’air
Vous ne croyez pas si bien dire puisqu’en ce moment à Bordeaux nous construisons un grand programme de logements collectif sociaux sans système de ventilation mécanique, communément appelé vmc, sans simple flux ou double flux. Simplement nous avons mis des fenêtres dans toutes les pièces, wc, cuisines et salles de bains compris et tous les logements sont traversants, on a simplement mis des capteurs de qualité de l’air au cas où.
Sérieux quand vous utilisez du béton vous faîtes un noeud à votre mouchoir, Lol
On n’utilise le moins possible de ciment Portland conventionnel, vous savez le pisé par exemple c’est du béton parce que le béton c’est le mélange d’un agrégat et d’un liant. Le béton de ciment Portland est le matériau de construction qui a le plus détruit la planète depuis ces 80 dernières années par l’énergie fossile qu’il nécessite pour produire le ciment à 1400 degrés et par la rareté du sable qui devient de plus en plus dramatique et sans aucune traçabilité sur l’origine. Mais oui pour être honnête je fais de temps en temps un petit nœud à mon mouchoir, quand on ne peut pas du tout faire autrement on utilise du béton. Nous ne sommes plus dans cette logique du tout béton.
Ben alors vous faîtes quoi pour que cela soit solide
Et bien on construit en bois, les techniques évoluent très rapidement et récemment nous avons répondu à un appel d’offres avec un immeuble d’une hauteur de 62 mètres, on construit aussi en terre avec de la brique de terre compressée. Aujourd’hui un des freins les plus tenaces à l’utilisation généralisée des matériaux de construction écologiques est son taux de tva, certes en cette période de déficit des comptes publics c’est mal vu mais nous avons bon espoir que notre pétition soit enfin entendue et que le taux soit réduit.
Vous n’êtes pas trop frustré parce qu’avec votre barbe blanche on voit tout de suite que vous n’êtes plus un perdreau de l’année, vous n’êtes pas né trop tôt surtout à une époque où tous les architectes étaient biberonnés au béton alors que c’est maintenant que la construction écologique démarre vraiment
Votre analyse est juste, dans les années 80-90 mon atelier n’avait que 3 personnes alors qu’aujourd’hui j’ai 3 associés et entre 30 et 40 salariés en fonction des projets. La grande différence c’est qu’aujourd’hui les maîtres d’ouvrages ont changé ils sont plus sensibilisés à l’écologie, bien qu’à mon goût ils ne sont pas encore suffisamment nombreux, on se bat en permanence contre les lobbys du béton, de l’acier, de la ventilation mécanique.
Quand vous voyez ce projet de Line en Arabie Saoudite ça doit vous faire bondir 
Oui c’est totalement aberrant surtout dans un pays où il fait si chaud, j’imagine que les températures au plus proche des murs de verre doivent être inimaginables, ce qui me désole c’est que des architectes de renom s’ associent à ce désastre écologique.
On entend beaucoup de jeunes architectes dirent qu’ils ne sont plus préoccupés par l’esthétisme, pourtant c’est une des attentes fondamentales du public, je remarque que dans vos réalisations il n’y a pas que des cubes, au contraire vous avez des bâtiments qui ont des toits pentus, est-ce une manière de supprimer l’étanchéité à base de goudrons de la pétrochimie
Entre un rectangle qui est moche et un rectangle qui est beau il n’y a parfois qu’une petite question de proportion qui change tout. L’enjeu est la qualité esthétique qui renvoie à beaucoup de facteurs comme l’inscription dans un site, l’intelligence des couleurs. La qualité esthétique est une exigence éthique de l’architecture bienveillante. Pour les toits, quand vous ne construisez pas en béton, vous n’avez pas de dalle en toiture au contraire vous avez une charpente qui nous permet de faire des espaces habités qui sont différents.
Dernière question quand je fais défiler votre site internet j’ai le sentiment que vous êtes un poil plus urbaniste qu’architecte
Je suis un urbaniste qui sait ce que c’est qu’être architecte, j’ai enseigné le paysage pendant 10 ans à l’école du paysage de Versailles et pendant 3 ans à Harvard, la question du contexte, la question du paysage, la question du vivant et de l’eau font partie de mon histoire.

Photographies d’architecture de Pierre-Yves Brunaud

La collaboration avec Anne-Solange MUIS
La pensée sur les territoires nous a rapproché à l’époque où elle était rédactrice en chef de la revue EcologiK. Depuis qu’elle a créé sa maison d’édition Terre Urbaine, elle est resté attaché à l’écologie : elle « est au cœur de notre approche, elle est même notre démarche » écrit-elle. « Ce n’est pas une revendication mais une évidence. C’est le principe même de cette maison dont l’objectif est d’éclairer la cohérence (ou l’incohérence) des idées, programmes, démarches, actions, aménagements, etc. pour interroger et porter ces sujets au débat.
La rigueur de ces choix de textes m’impressionne beaucoup, de même que sa relation très fluide à ses auteurs.
Elle avait l’idée d’un ouvrage de témoignage sur des attachements territoriaux. Elle publia notre entretien en février 2021, une fois créée sa maison d’édition, dans le livre « Ecologie des territoires » dirigé par Thierry Paquot , de la collection La fabrique des Territoires. Dans la même collection et la même année 2021, mais en octobre, elle publia mon livre clé « Mieux avec moins. Architecture et frugalité pour la paix », qu’elle vient de réimprimer en 2024 compte tenu de son succès auprès des lecteurs.
En 2022, pour une autre collection Dérives Urbaines de textes courts, je lui ai demandé – avec insistance – de rééditer un texte important à mes yeux « Le Coyote, le Petit renard, le Geai et le Pou » qui était paru en 2004, chez Sujet-Objet dont l’éditeur était Stéphane Place. Il a été publié sous le titre «Architecture. Le Coyote, le Petit renard, le Geai et le Pou ». A ce jour il est épuisé. Dans cette collection, elle m’a demandé un texte sur la frugalité, publié en 2024 sous le titre « Frugalité, un récit heureux ».
Je suis très heureux du succès de son premier roman en tant qu’autrice « Une île pour elle ».